R. Kattan (TalenCo) : "Éviter le piège du micro-management"
Décideurs. Depuis le premier confinement, les managers apprennent à manager à distance. Quelles sont les principales difficultés dont ils font part ?
Raphaël Kattan. En cette période difficile, le manager fait face à plusieurs difficultés. La première d’entre elles est de réussir à garder le lien émotionnel avec ses équipes malgré le travail à distance. Pour cela, il peut par exemple proposer des rituels au service de la cohésion pour recréer les moments informels du bureau. Le manager doit aussi aider ses équipes à se recentrer sur les bonnes priorités d’action. La distance impose de sur-jouer 4 rôles : donner du sens en rappelant les orientations stratégiques de l’entreprise, se voir avancer ensemble, partager les succès, et enfin se mettre d’accord sur les attendus avec ses équipes pour ne pas tomber dans le piège du micro-management. En effet, dans le contexte actuel, la tentation peut être forte de distribuer des to do list en oubliant de donner du sens à ce qu’on fait. Cette posture de management peut être renforcée par des outils plus structurants comme les OKR (Objectives and Key Results), une technique de responsabilisation et de pilotage des priorités à chaque niveau dans l’entreprise. Les membres d’une équipe sont en mesure de décliner leurs priorités et indicateurs de réussite au trimestre, en parfait alignement avec ceux de l’équipe à laquelle ils sont rattachés.
Un autre risque de ce travail à distance est le « re-silotage » de l’entreprise. Si le manager parvient à maintenir la cohésion dans son équipe par de nombreux rituels à distance, cela reste plus difficile de le faire avec les autres équipes de l’entreprise.
Mais qui s’occupe du manager ?
Le manager du manager ! Chaque strate managériale doit prendre soin de sa ligne directe de N-1. Il est d’ailleurs important de sensibiliser les comités de direction sur le sujet. Leurs executives sont les plus exposés dans la période actuelle. Ils doivent embarquer leurs équipes dans la mise en œuvre du plan stratégique, gérer les priorités avec des ressources et des budgets qui se réduisent, être à l’écoute des équipes, résoudre les problèmes... Bref, ils sont sur tous les fronts, mais qui s’occupe d’eux en retour ?
Comment détecter les collaborateurs en difficulté malgré la distance ?
Le traditionnel tour de table débutant par « comment ça va » n’est plus suffisant avec la distance, les managers doivent aller chercher le non verbal différemment avec des ateliers novateurs comme le photolangage par exemple. Ils doivent également prendre en compte les difficultés d’ordre matériel et travailler avec les équipes RH si nécessaire. Tout le monde n’est pas égal face au télétravail. Il est plus aisé d’être efficace dans une maison avec un véritable espace de bureau et un jardin pour prendre l’air que dans un studio de 25m² en plein centre-ville.
On dit que le présentiel reste irremplaçable pour les projets d’innovation et de création. Etes-vous d’accord ?
Travailler à distance à 100 % n’est certes pas idéal pour construire un collectif qui va collaborer sur un projet, toutefois on constate que des réunions collectives à distance bien organisées peuvent être plus efficaces qu’en présentiel, quand on sait se servir des outils de type visio couplés à d’autres outils collaboratifs comme par exemple les murs de post-it virtuels. Pour faire avancer efficacement les projets à distance, le manager devra aussi adopter une posture de facilitateur et utiliser des méthodes d’animation issues de l’agilité. C’est loin d’être insurmontable mais cela nécessite de se former au management à distance
Comment mettre en action les équipes et mobiliser les énergies à distance ?
Dans votre question, il y a le terme « énergie ». Il est important de cultiver cette énergie. C’est aussi de la responsabilité du manager de faire attention à l’organisation du temps de travail au quotidien. Aider les collaborateurs à bien distinguer les temps professionnels des temps personnels. Faire attention aussi à l’enchaînement des visio-conférences. Certains collaborateurs se plaignent de passer des journées entières à enchaîner les visio sans avoir le temps de prendre de vraies pauses. Aux managers de proposer des solutions simples à mettre en œuvre, comme la réunion qui débute à 5 de l’heure pour souffler quelques minutes après le rendez-vous précédent, ou pourquoi pas des réunions téléphoniques en marchant. Bref, reproduire des gestes qui sont naturels au bureau ! Enfin, le manager doit être attentif aux symptômes du surengagement, et donner l’exemple en arrêtant d’envoyer des e-mails et d’organiser des réunions à des horaires tardifs !
Propos recuillis par Roxane Croisier