Les litiges en discrimination syndicale ont souvent pour objectif d'obtenir une indemnisation et de forcer la communication sur la politique de rémunération. Ces informations sont précieuses pour nourrir des négociations futures ou de nouveaux contentieux.

Pour un ensemble de raisons, les salariés qui agissent en discrimination syndicale dans la carrière ne produisent pas toujours les pièces pertinentes susceptibles de démontrer la situation qu’ils dénoncent.

Un choix impossible

Cette carence de communication place le demandeur dans une situation paradoxale, qui le contraint d’une part à affirmer une certitude mais d’autre part à devoir faire le constat qu’il ne dispose pas d’éléments probants à ce même sujet. L’unique possibilité qui s’offre à lui consiste donc à faire valoir l’idée que ce devrait être à l’entreprise qu’il incomberait de produire les documents dont on espère qu’ils la compromettront. La plupart du temps, cela s’exprime de la manière suivante : « Pourquoi l’entreprise ne communique-t-elle pas les bulletins de salaires de tous les salariés placés dans une situation comparable au demandeur? »

Posée de cette façon, la question tend à faire accroire que l’entreprise pratiquerait une sorte de «  rétention d’information  », qui la place devant un choix impossible : produire les pièces demandées, au risque de donner raison au demandeur («  Si l’entreprise a produit ces éléments, c’est bien qu’elle s’y savait contrainte »), ou ne pas les produire, au risque de nourrir d’une autre façon l’argumentation du salarié («  Si l’entreprise n’a rien produit, c’est bien qu’elle sait que ces pièces sont compromettantes pour elle »).

Une règle de preuve qui s’impose au juge

On rappelle que, selon les termes de l’article  L  134-1 du Code du travail, lorsque survient un litige en discrimination, le demandeur « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination ». Puis, « au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

L’action consistant à « présenter des éléments de faits » est parfois comprise de manière très différente selon les parties et les juridictions. Il ne s’agit pas – ou en tout cas il ne devrait pas s’agir – de présenter la seule carrière du salarié pour en déduire qu’elle a été insatisfaisante. Il importe de présenter des éléments de comparaison, sans lesquels l’établissement d’une discrimination n’est pas possible. C’est en tout état de cause à la partie demanderesse que s’impose en premier lieu cette communication en demande. L’application de la règle de preuve s’impose au juge et au juge seul ; c’est lui qui, dans le cadre de son délibéré, estime si des « éléments de faits » suffisants ont été présentés ou non.

L’absence de droit à la transparence

L’employeur est-il contraint de produire des éléments de comparaison ? En droit strict, non. La plupart du temps, il y sera évidemment réticent : il ne souhaitera pas communiquer des éléments nominatifs sur la rémunération de telle ou telle personne nommément désignée. Les raisons de cette réticence sont tout à fait compréhensibles : la communication de la rémunération de diverses personnes au sein d’une entreprise va susciter querelles, jalousies et difficultés. C’est la porte ouverte aux «  passions tristes  », dissimulées derrière le paravent du droit à l’égalité. Il existe par ailleurs des raisons légitimes à cette réticence : l’employeur est détenteur d’informations de nature privée que lui ont confiées ses salariés. Les révéler le placerait en faute à leur égard.

En tout état de cause, un salarié qui se prétend discriminé, ne dispose pas, du seul fait de cette prétention, d’un « motif légitime » à obtenir des informations sur ses collègues placés dans une situation comparable. Il n’y a pas de « droit à l’information ». Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété les textes en ce sens « qu’ils ne prévoient pas le droit, pour un travailleur alléguant de façon plausible qu’il remplit les conditions énoncées dans un avis de recrutement et dont la candidature n’a pas été retenue, d’accéder à l’information précisant si l’employeur, à l’issue de la procédure de recrutement, a embauché un autre candidat  ». La Cour a ajouté néanmoins à ce sujet : « Toutefois, il ne saurait être exclu qu’un refus de tout accès à l’information de la part d’une partie défenderesse peut constituer l’un des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’établissement des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Il incombe à la juridiction de renvoi, en prenant en considération toutes les circonstances du litige dont elle est saisie, de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal (…) ». En d’autres termes, pour la Cour de justice de l’Union européenne, l’entreprise communique, ou ne communique pas, les documents qui lui sont nécessaires, cela à ses risques et périls.

Le référé sur le fondement de l’article 145

En France, depuis  2012, la question se pose en des termes particuliers en référé. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a validé, par un arrêt du 19 décembre  2012 (pourvoi n°10-20.526), qu’il soit enjoint à l’entreprise de communiquer les bulletins de salaires des salariés placés dans une situation comparable à celle du demandeur. Dans cette décision, la chambre sociale avait ajouté que «  le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en euxmêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ». La chambre sociale inaugurerait-elle dans les mêmes termes une telle jurisprudence aujourd’hui? Il est permis d’en douter. En effet, depuis lors, l’importance du caractère confidentiel de la rémunération des salariés a été réaffirmée dans des travaux et arrêts significatifs. À titre d’exemple, dans le cadre d’une mission confiée par le ministère du Travail, madame Pécaut-Rivolier, conseiller près la Cour de cassation, a proposé dans son rapport du décembre  2013 de «  prévoir un mécanisme d’anonymisation des informations relevant de la vie personnelle des salariés qui ne sont pas parties à la procédure (…) ». Espérons que ce mécanisme existe un jour!

Florence du Gardier, avocate associée chez Dupuy & Associés

Pierre Safar, avocat associé chez Dupuy & Associés

 

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