Entreprise républicaine : le clivage français
Certains sondages constituent de véritables mines d’or et font pourtant peu parler d’eux. C’est notamment le cas de l’enquête "Le regard des Français sur la République et les principes républicains : quid d’une entreprise républicaine ?" publiée par l’Ifop et Havas. Pour la première fois, un large échantillon a été interrogé sur les valeurs républicaine dans le monde professionnel. Payer ses impôts en France, faire respecter l’égalité hommes-femmes, contribuer à l’intérêt général ou encore s’engager dans le made in France et la relocalisation rassemblent une très large majorité des sondés. Mais sur d’autres thématiques, un clivage essentiellement générationnel, social ou religieux est palpable et montre une société qui se fracture.
Laïcité
Selon 82 % des personnes interrogées, une entreprise républicaine se distingue par un respect des règles de laïcité qui passe notamment par l’interdiction de signes religieux ostentatoires. Quelle que soit la catégorie prise en compte (âge, religion, CSP, positionnement politique...), l’attachement à un lieu de travail laïc est majoritaire. Mais certains résultats interpellent.
Pour parler crûment, plus on est jeune, moins on semble attaché à la laïcité sur le lieu de travail. Si 92 % des plus de 65 ans estiment qu’une entreprise républicaine se démarque par le respect de la laïcité, la proportion n’est que de 67 % chez les 18-24 ans.
Un clivage social est également perceptible puisque, si 88 % des catégories aisées considèrent qu’une entreprise républicaine se distingue par un strict respect de la laïcité, le score est de 77 % chez les catégories les plus pauvres.
Plus on est jeune, moins on est attaché à la laïcité sur le lieu de travail
Si la séparation droite-gauche ne saute pas aux yeux, les scores varient selon la pratique religieuse. D’une manière contre-intuitive, 80 % des sondés qui se définissent comme sans religion soulignent qu’une entreprise républicaine doit respecter la laïcité, soit un peu moins que la moyenne nationale. Les plus "laïques" sont les catholiques pratiquants (90 %) alors que seulement 55 % des musulmans lient laïcité et entreprise républicaine. En somme, les jeunes et les musulmans paraissent les moins attachés au principe de laïcité en entreprise.
Refus du marketing communautaire
67 % des Français considèrent qu’une entreprise républicaine doit refuser le marketing communautaire, c’est-à-dire "le fait d’offrir des produits ou des services qui s’adressent à des communautés ethniques ou religieuses". Comme pour la laïcité, le fossé générationnel est prégnant. Si 69 % des plus de 65 ans se rangent derrière ce postulat, ce n’est le cas que d’une courte majorité des 18-24 ans (53 %). Sur le plan religieux, le même schéma que pour la laïcité se reproduit : 40 % des musulmans seulement estiment qu’une entreprise républicaine doit rejeter le marketing communautaire, une différence notable avec les catholiques (69 %). Les participants se définissant comme sans religion sont divisés : 52 %.
Un raccourci peut donc être vite établi : ce sont les jeunes et les musulmans, sureprésentés dans les grandes agglomérations qui défendraient le marketing communautaire. Mais les choses semblent plus nuancées : si 73 % des habitants de l’agglomération parisienne le réprouve, les résidents des zones rurales semblent plus "ouverts" avec un taux de rejet de 62 %.
Concernant le positionnement politique, le clivage droite-gauche ne semble pas être une variable explicative. 78 % et 72 % des sympathisants PS et LR semblent persuadés qu’une entreprise républicaine ne doit pas se mettre au marketing ethnique. Une proportion éloignée de ceux qui affichent une proximité avec LFI (61 %) et le RN (64 %).
Quotas diversité
C’est un serpent de mer dans le débat public. Les entreprises doivent-elles mettre en place des quotas censés promouvoir la diversité ? (femmes, minorités visibles, minorités ethniques ou sexuelles…). Une entreprise qui s’y mettrait serait-elle républicaine ? Oui, estiment 61 % des Français.
Cette fois-ci, il n’existe pas de séparation générationnelle. En revanche, ceux qui sont déjà "au sommet" ou qui ont le potentiel d’y accéder sont plus réticents aux quotas que les autres. Si 67 % des ouvriers estiment qu’une entreprise républicaine doit déployer des quotas diversité, ce n’est le cas que de 45 % des catégories supérieures. De même, notons une disparité entre les sondés qui ont un diplôme supérieur au bac (53 %) et les sans-diplômes (82 %). 66 % des femmes, principales bénéficiaires des quotas, affirment qu’une entreprise qui déploierait ce type de mesure serait républicaine contre 56 % des hommes. Enfin, les électeurs de gauche sont 66 % à penser que les quotas diversité sont républicains, soit dix points de plus que ceux de droite. Cette notion de quota diversité reste difficile à interpréter puisque l’étude ne mentionne pas quels critères sont pris en considération pour les constituer.
Liberté d’expression
88 % des Français l’affirment : une entreprise républicaine doit respecter la liberté d’expression en son sein. Plus de 75 % des catégories prises en compte par l’Ifop sont d’accord avec ce postulat. Toutefois, deux groupes semblent plus réticents que les autres à lier liberté d’expression et entreprise républicaine : les 18-24 ans (77 %, soit un écart important par rapport aux plus de 65 ans, 92 %) et les catégories les moins aisées (78 %). Chez les diplômés du supérieur, le taux est de 92 %.
La prise en compte du positionnement politique est intéressante puisque l’on constate que ce sont les électeurs PS et EELV qui sont le plus attachés à la liberté d’expression en entreprise (98 % et 93 %). Parmi les sympathisants RN, la proportion n’est que de 82 %.
Lucas Jakubowicz