Hymane Ben Aoun, l’orpailleuse du recrutement digital
Décideurs. Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
Hymane Ben Aoun. Surtout pas lire un CV ! Je le fais très mal et dans la plus grande indifférence. Ce qui m’intéresse, c’est la personne, le talent caché entre les lignes. Grâce à nos méthodes d’interview, nous sommes capables de lire les individus comme dans un livre ouvert, de découvrir des choses que vous ne verrez jamais dans un CV. Rien ne me rend plus heureuse que quand je présente un candidat à un client qui ne souhaite pas le rencontrer a priori… mais qui, à l’issue de l’entretien, reconnaît que, sans moi, il serait passé à côté de cette pépite. Je ne me lasserai jamais de ces coups de cœur entre une personne qui se sait inattendue pour un poste et une entreprise qui, passé le moment de surprise, se réjouit de l’accueillir.
À l’inverse, qu’aimeriez-vous transformer ?
Je milite pour que le diplôme de départ ne soit plus un sujet. C’est épuisant de voir que, peu importe votre âge, votre expérience, les Français vous renvoient toujours à votre pédigrée. Je n’ai rien contre les grandes écoles. On connaît le type de profils recrutés, formés, voire formatés. C’est rassurant quelque part. Mais cela entretient la croyance, fausse, de ne pas pouvoir maîtriser ceux qui n’en sortent pas. Quand vous êtes comme moi du métier, nul besoin de s’en remettre au sentiment de sécurité prodigué par le diplôme. Vous savez ce que vous recherchez comme compétences et vous êtes capable de les creuser. Vous allez sans doute me trouver naïve, voire utopiste, mais je rêve de CV sans diplôme !
Faut-il en déduire que vous n’appréciez pas d’être renvoyée à un statut d’outsider malgré vos vingt ans d’expérience ?
En réalité, ce rôle me convient bien. Il ne me prive en aucun cas de la reconnaissance de mes pairs. J’en veux pour preuve mon élection à la présidence de la commission métier conseil en recrutement de Syntec Conseil. Challengers ou Big Four, après tout, peu importe. Nous faisons tous le même métier. Seulement de manière différente. Et l’outsider le sait mieux que nul autre. Plutôt que de clamer haut et fort, depuis ma tour d’ivoire, que la chasse c’est une chose et pas l’autre, j’accepte que chacun procède à sa façon.
À la manière d’une entrepreneuse, par exemple ?
Je tiens beaucoup à ma liberté d’action. Cela explique sans doute pourquoi le salariat ne me convenait pas. Je n’exagère pas en pensant avoir été une très mauvaise collaboratrice ! Je veux être celle qui décide, pas celle qui obéit. L’entrepreneuriat s’est donc très vite imposé à moi ne serait-ce que pour tester des choses ou porter mes convictions. Je n’ai jamais eu peur des défis ni des responsabilités à assumer en cas d’échec.
Comment cela se traduit dans votre pratique du métier ?
Comme la plupart des entrepreneurs, je fonctionne beaucoup à l’intuition. Or, le recrutement suppose une part d’objectivité. Vous ne recrutez pas pour vous ni un copain. Cette dimension du métier représente donc pour moi une véritable zone d’effort. J’ai dû mettre en place tout un process d’évaluation très rigoureux pour laisser, dans un second temps seulement, libre cours à mon intuition. Je crois que ce qui me caractérise en tant que chasseuse de têtes, c’est ma capacité à pitcher. Je ne suis pas là juste pour présenter trois profils et puis m’en aller. Au contraire, je n’aime rien mieux que défendre des convictions construites sur une base objective, convaincre le client et, in fine, l’aider à faire le meilleur choix possible… Et pas toujours le plus évident !
Propos recueillis par Marianne Fougère