Les récents arrêts rendus par le Conseil d’État nous offrent l’opportunité de nous interroger sur le recours plus fréquent à des dispositifs d’intéressement et d’accès au capital des salariés à haut potentiel d’une entreprise dont le régime fiscal serait certes, plus réglementé, mais de fait plus encadré.

Parmi les instruments les plus courants proposés aux dirigeants et salariés clés de l’entreprise, on retrouve principalement les stock-options, les actions gratuites (AGA) ainsi que les BSCPE. Les objectifs communs de ces instruments sont (i) de fidéliser leurs bénéficiaires et (ii) de rapprocher leurs intérêts de ceux des investisseurs financiers.

Si chacun des dispositifs d’intéressement bénéficie de son propre régime fiscal de faveur, les actions gratuites représentent un véritable avantage pour leurs bénéficiaires compte tenu de leur gratuité.

Toutefois, si le régime fiscal des attributions d’actions gratuites apparaît avoir été clairement encadré par les textes, leur potentielle qualification d’éléments de rémunération doit amener les praticiens à s’interroger sur les contraintes liées au recours à cet instrument.

Parmi la multitude de règles spécifiques qui entourent la qualification de salaire, il est permis de s’interroger sur celles qui seraient applicables aux AGA.

Si la jurisprudence ne nous éclaire pas sur l’application notamment de la règle des saisies sur salaire aux actions gratuites, qui une fois acquises définitivement pourraient contribuer à solder tout ou partie des dettes du bénéficiaire, ou sur l’application de la prescription triennale1 réservée généralement aux litiges portant sur un élément de salaire en lieu et place de l’application de la prescription quinquennale de droit commun, il en va autrement d’autres règles propres aux éléments de salaire qui ont été étendues aux AGA, comme c’est le cas de l’interdiction des sanctions pécuniaires2.

En effet, après avoir considéré que, sont illicites au regard de l’article L.1331-2 du Code du travail, les dispositions d’un plan de stock-options prévoyant de priver les salariés licenciés pour faute grave de la faculté de lever les options3, la Haute Cour a jugé également que la suppression des actions gratuites attribuées, mais non encore acquises, au cours de la période d’acquisition au motif que le bénéficiaire aurait commis une faute serait de nature à porter atteinte au principe de prohibition des sanctions pécuniaires4.

"Parmi la multitude de règles spécifiques qui entourent la qualification de salaire, il est permis de s’interroger sur celles qui seraient applicables aux AGA"

Dans le même sens, il a été jugé que dans le cadre d’un licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse par un juge et dont la date serait intervenue au cours de la période d’acquisition des actions gratuites, le licenciement entraînait une perte de chance pour le salarié de bénéficier de l’acquisition sur la totalité des actions gratuites qui lui avaient été attribuées5.

La jurisprudence tendant indubitablement à étendre les règles applicables aux éléments de salaire aux AGA, il est également permis de s’interroger sur l’application d’une règle très à la mode dans les prétoires : le principe d’égalité de traitement entre les salariés d’une même entreprise.

Pour mémoire, la Haute Cour a conféré au principe "à travail égal, salaire égal" (plus connu dorénavant sous le principe d’égalité de traitement) la valeur d’une règle impérative6, présentée dès lors comme une norme générale, dont l’égalité hommes-femmes est notamment une application.

Désormais, le principe d’égalité de traitement7 tend à s’appliquer hors la sphère de la seule rémunération et d’une façon plus générale à tout élément de rémunération ou avantage de toute forme (accord collectif, voiture de fonction, et même un plan de départ volontaire)8.

Ainsi, il a pu être considéré que le caractère discrétionnaire d’une rémunération ou d’un avantage ne permet pas à un employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l’avantage en cause et ne lui permet pas de justifier, de façon objective et pertinente, une différence de traitement9.

Or, la finalité même de l’utilisation des systèmes de rémunération tels que les AGA est de permettre le maintien en fonction des salariés identifiés comme étant des hauts potentiels. Dès lors, l’attribution d’actions gratuites à certains salariés plutôt qu’à d’autres relève ainsi davantage d’une décision managériale et discrétionnaire qui ne s’embarrasse pas toujours d’une justification objective de la différence de traitement avec d’autres salariés placés dans la même situation et qui ne se verraient alors pas attribuer des actions.

Est-ce pour autant sanctionnable de vouloir favoriser un salarié dans une entreprise dans le but de l’inciter à rester s’il est plus performant que son collègue à un poste équivalent ?

S’agissant de ces instruments d’accès au capital, la jurisprudence s’est prononcée en faveur d’une application du principe d’égalité de traitement aux droits d’options sur des actions (stock-options)10. Néanmoins, à notre connaissance, une telle décision n’a encore jamais concerné les AGA.

Pourtant le régime même des AGA impose d’attribuer des actions "au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d’entre eux"11 ce qui nécessite de déterminer avec objectivité la catégorie concernée par l’attribution si tout le personnel n’est pas concerné par l’attribution.

Fort de ce constat et dans l’attente d’une précision jurisprudentielle, il conviendra de se ménager une justification de cette différence de traitement si le dirigeant entend n’attribuer des AGA qu’aux cadres clés, et ce, à l’aide de critères objectifs, pertinents, et matériellement vérifiables, ce qui en pratique peut s’avérer assez complexe…

1 Article 3245-1 du Code du travail

2 "Constitue une sanction pécuniaire toute mesure qui affecte directement ou indirectement la rémunération de la personne qui a fourni une prestation de salaire". Tissot

3 Soc. 21-10-2009 n° 08-42.026

4 Com. 7-6-2016 n° 14-17.978

5 Soc. 7 février 2018 n° 16-11.635

6 Soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680

7 Soc. 30 janvier 2008, n° 06-46447

8 Soc. 18 janvier 2000, n° 98-44.745

9 Soc. 10 octobre 2012, n° 11-15296

10 Soc. 11 septembre 2012, n° 11-26045, Soc. 17 juin 2003, n° 01-41522

11 Article L225-197-1 du Code de commerce

Par Sandrine Gardel, avocate associée. Opléo Avocats.

Prochains rendez-vous
Décideurs RH

28 novembre 2024
Les Victoires du Capital humain
L'incontournable des directions RH
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX 
Voir le site » 

2 avril 2025
U-Spring, Le Printemps des universités d'entreprises
La journée qui célèbre le learning
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX
Voir le site »

Été 2025
Talents!
L'événement consacré aux enjeux d’attraction des talents et au recrutement
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP ● REMISE DE PRIX
Voir le site »

Octobre 2025
Les Rencontres du droit social
Le rendez-vous des acteurs du droit social
CONFÉRENCES ● DÉJEUNER VIP 
Voir le site »

GUIDES DÉCIDEURS RH

> Guide 2024

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail