La médiation sur les conflits du travail se développe à tout-va
De mémoire de médiateur, on n’avait jamais connu ça. Avec la première vague de Covid-19, résumait en février dernier Pierre Pélouzet, "un tsunami de demandes d’aides" s’est déversé sur les services du Médiateur des entreprises. Les chiffres ? 6 075 sollicitations [réponses personnalisées aux demandes d’informations, préparation à la médiation, orientation vers des dispositifs, ndrl] et 3 540 dossiers de médiation, soit un volume d’activité "quatre fois supérieur à celui de 2019".
Valeur refuge
Depuis son poste d’observation privilégié, Pierre Pélouzet table sur "le dialogue et la solidarité économique comme clés de sortie de crise". Mais qu’en est-il au sein des entreprises ? En interne, la médiation s’impose-t-elle aussi comme une "valeur refuge" ? D’après la dernière édition du baromètre publié par le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), la médiation conventionnelle inter-entreprise et la médiation "sociale" représentent respectivement 51 % et 12 % des quelques 500 dossiers traités en 2019. Signe que la médiation "a gagné sa place dans l’entreprise". Désormais, poursuit Sophie Henry, déléguée générale du CMAP, dirigeants et DRH l’intègrent "comme un outil de management et de résolution des litiges". Mais, pour y parvenir, il lui a fallu montrer patte blanche… et profiter de quelques coups de pouce.
Encouragée par la loi du 8 février 1995 relative à la médiation judiciaire, la médiation a dû se défaire de son étiquette "made in USA" avant de pouvoir s’immiscer dans tous les pans de la société. La crise de 2008 et l’explosion des tensions sociales et commerciales ont, sans aucun doute, facilité la recherche de moyens alternatifs de résolution des conflits. Tout comme l’apparition de médiateurs des entreprises en 2010. Autre accélérateur ? La loi pour la réforme de la justice du 23 mars 2019 qui permet au juge d’enjoindre les parties à rencontrer un médiateur. Mais, rappelle Franck Raimbault, c’est surtout à la loi Macron du 6 août 2015 que l’on doit d’avoir "expressément autorisé le recours à la médiation conventionnelle en matière de droit social".
Précurseurs
Pourtant, quand il instaure en 2018 un dispositif de médiation conventionnelle de résolution des contentieux prud’homaux, le directeur juridique social d’Air France fait figure de précurseur. Mais la compagnie aérienne constitue un terrain d’expérimentation propice. "Notre entreprise, explique Franck Raimbault, présentait à l’époque la double particularité d’un faible turnover couplé à une conflictualité judiciaire importante." La médiation s’est donc imposée comme une alternative au contentieux. Moyen au passage d’améliorer l’image d’Air France auprès des magistrats ? Pas seulement. "À l’époque, se souvient-il, nous l’imaginions aussi en renfort du plan stratégique RH porté au niveau de l’entreprise, qui visait à repositionner le salarié au cœur des attentions."
En matière de médiation, le secteur du transport a bien pris une longueur d’avance. Autre exemple, la SNCF où existe depuis 2011 un service national composé de trente médiateurs maison. "L’internalisation, commente Myriam Rimbaud-Fougère, qui est médiateur professionnel, membre de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN) s’offre en effet comme une option pour les entreprises suffisamment solides." Le risque ? Freiner le recours à la médiation "en cas de soupçon sur la neutralité, l’impartialité et l’indépendance des collègues vis-à-vis de la hiérarchie". À la SNCF, des garde-fous ont été instaurés par Martine Sepiéter, l’initiatrice du dispositif. Aucun médiateur n’exerce au sein de son propre service et tous ont été rigoureusement formés et évalués.
"En matière de médiation, le secteur du transport a bien pris une longueur d’avance"
Solution winwin ?
Qui pourrait croire que ces mastodontes du transport ferroviaire et aérien s’emparent de la médiation sans rien espérer en retour ? Elle participe de l’apprentissage de la qualité de vie au travail par la mise en œuvre de la "qualité relationnelle au travail". Néanmoins, cela suppose, avant d’entamer toute médiation, même collective, de réaliser des entretiens individuels. "Faire parler les uns et les autres permet de repérer les points de tension et de blocage, les freins", explique Myriam Rimbaud-Fougère. Ce n’est qu’à partir de ce travail, "que l’on pourra établir une cartographie de la relation dans l’entreprise". Parfois, la médiation initialement prévue entre un manager et un collaborateur est abandonnée "au profit" de celle entre deux collègues. Parfois, le processus prend du temps. Et ce, d’autant plus, que "le médiateur professionnel guide la réflexion à travers un processus structuré qui implique les personnes". Mais, in fine, reconnaît Franck Raimbault, "cela prend aux équipes juridiques quatre fois moins de temps pour conduire une médiation". Mieux, cette dernière "permet de prendre rapidement des décisions" et souvent "assez décalées vis-à-vis de la demande de départ du salarié". C’est son "effet magique" auquel s’ajoutent les économies réalisées, une médiation coûtant en moyenne "de quatre à dix fois moins cher qu’un contentieux". Bien sûr, la médiation n’a pas que des amis. Ainsi, Franck Raimbault a-t-il dû "gérer l’accueil mitigé réservé par certains avocats à son initiative". Nombreux préfèrent sans doute, comme Laura Michl, "un accord aux contentieux longs et désagréables pour chacune des parties". L’associée de chez Daem Partners ajoute que "la médiation permet aux parties de maîtriser elles-mêmes le calendrier et le coût de la procédure". Certains doutent néanmoins de sa pertinence au-delà des situations interpersonnelles. "Au niveau collectif, estime Fabrice Février, associé au sein du cabinet Lévy & Associés, il y a déjà suffisamment d’occasions pour se parler, pour dialoguer". À condition, toutefois, de s’en montrer capables. Myriam Rimbaud-Fougère conseille d’ailleurs "d’étendre des dispositifs comme Format Dialogue à l’ensemble de l’entreprise" pour que "salariés, employeurs, élus du CSE se forment ensemble au dialogue social". Et c’est peut-être là que se situe l’enjeu des prochains mois. Réapprendre à dialoguer ensemble sans la médiation des écrans mais pas sans médiateur.
Marianne Fougère