Pour la seconde fois, le ministère du Travail procède cette année à la mesure de la représentativité des organisations syndicales représentatives des employeurs. Cette question, qui est loin d’être simple, a été traitée par le législateur depuis 2014, amenant de manière progressive à un traitement plus objectif du sujet. Il n’en reste pas moins que cette question génère un contentieux notable devant les juridictions administratives.

Il aura fallu attendre 2014 pour que le législateur s’empare de la question de la représentativité des organisations syndicales représentatives d’employeurs. Cela n’a pu être fait que dans le prolongement de la loi de 2008 relative aux organisations syndicales représentatives des salariés.

Des critères légaux tendant à l’objectivité

Aux termes des articles L. 2152-1 et suivants du Code du travail, la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs est déterminée d’après quatre conditions cumulatives :

- la première condition tient au respect des critères suivants : les valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation (cette ancienneté s’appréciant à compter de la date de dépôt légal des statuts) et l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;

- la deuxième condition consiste à disposer d’une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche ;

- la troisième condition impose à l’organisation considérée de représenter, au 31 décembre de l’année précédant la mesure, soit au moins 8 % de l’ensemble des entreprises adhérant à des organisations patronales au niveau considéré, soit au moins 8 % des salariés de ces entreprises ;

- la quatrième condition est que les entreprises et les organisations adhérentes à l’organisation professionnelle d’employeurs prises en compte au titre de la condition numéro trois doivent être à jour de leur cotisation.

Ces conditions ont été fixées afin de créer, autant que cela paraissait possible, un parallèle entre les critères de représentativité des organisations d’employeurs et des organisations de salariés. Ainsi, on retrouve nombre de conditions communes, dont notamment l’ancienneté, l’influence et surtout le recours à un pourcentage minimum de l’audience mesurée, ce qui tend à effectuer une mesure objective.

Une représentativité dont la preuve pèse sur l’organisation candidate

De manière concrète, une organisation syndicale d’employeurs qui veut se voir reconnue comme représentative doit constituer un dossier qu’elle adresse à l’administration, selon un calendrier prédéfini. D’après les dispositions de l’article L 2152-5 du Code du travail, ce dossier doit contenir les informations relatives au nombre d’entreprises adhérentes et au nombre de salariés que chacune d’elles emploie. Les articles R 2152-16 et suivants du Code du travail précisent que le dossier de candidature doit également contenir l’ensemble des éléments permettant à l’organisation d’établir qu’elle remplit l’ensemble des critères établis par la loi.

Pour les organisations "historiques", ces demandes ne posent pas de difficultés. On doute que le Medef éprouve des difficultés à voir reconnue sa représentativité au niveau national interprofessionnel, ce qui est normal. En revanche, pour les organisations récentes, et donc encore méconnues du ministère du Travail, la constitution du dossier constitue un enjeu fondamental. Il implique d’une part d’être complet, afin de bien vouloir démontrer la réalité de la complétion des critères, mais également rigoureux. Autant rappeler l’évidence : le nombre d’entreprises adhérentes et le nombre de salariés représentés ne doivent pas être surévalués, ce qui constituerait une fraude.

La question est en tout état de cause débattue devant le Haut Conseil du dialogue social, qui est consulté sur la représentativité des organisations candidates. Il s’agit d’une instance paritaire, comprenant en outre des représentants du ministère du Travail ainsi que des personnalités qualifiées qu’il désigne. Il n’est pas rare que les discussions qui se tiennent devant le Haut Conseil aient des effets concrets permettant de rectifier certaines mesures.

"Pour les organisations "historiques", ces demandes ne posent pas de difficultés"

Un contentieux dévolu à une seule juridiction

Pour chaque branche interprofessionnelle, le ministère du Travail prend un arrêté fixant la liste des organisations syndicales représentatives dans le secteur. Cet arrêté peut être contesté dans les deux mois par la voie d’un recours contentieux devant une juridiction et une seule : la cour administrative d’appel de Paris. On peut s’étonner de ce choix. Cela étant, on constate que, comme pour la contestation des élections professionnelles, le législateur a souhaité réduire les degrés de juridiction pouvant être saisis. Par ailleurs, les arrêtés ayant tous une portée nationale, la compétence parisienne s’imposait. Il est également clair que le législateur a entendu privilégier la cohérence de la jurisprudence en cette matière, en faisant en sorte que les critères de représentativité soient interprétés de la même manière pour tous les secteurs et toutes les organisations.

À cet égard, la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Paris a permis de préciser certains des critères fixés par le législateur. On a pu ainsi constater l’importance prise par le critère de l’influence de l’organisation syndicale représentatives d’employeurs. C’est un paradoxe, car ce point faisait l’objet de larges discussions avant 2008 s’agissant des organisations syndicales représentatives de salariés. Avant que le législateur fixe leur représentativité au seuil de 10 %, les contentieux devant les tribunaux d’instance faisaient l’objet de joutes fréquentes sur la question de savoir si l’organisation syndicale produisait des tracts, contestait les décisions prises par l’entreprise, informait les salariés des évolutions législatives ou professionnelles. Depuis 2008, ces discussions ont quasiment disparu.

En revanche, elles ont repris de l’importance s’agissant des organisations syndicales représentatives d’employeurs, qui doivent désormais démontrer leur activité au sein du secteur professionnel pour lequel elles candidatent. Éditent-elles, par exemple, des publications à destination de leurs adhérentes ? Réalisent-elles des colloques sur des sujets intéressant la branche ? Sont-elles citées par les acteurs du secteur ? Sont-elles des partenaires du ministère ou des pouvoirs publics lorsque ceux-ci entendent prendre des décisions qui intéressent la branche ? Ce ne sont que des exemples, non limitatifs, des actions qu’une organisation est susceptible d’avoir engagé si elle estime être représentative. Il n’en reste pas moins que ce sujet fait l’objet d’une vérification concrète et rigoureuse.

Une procédure à adapter ?

Le cycle de mesure de la représentativité est de quatre années. Toute la difficulté en cette matière tient à la durée du contentieux administratif. Dès lors qu’une organisation syndicale aura été considérée comme représentative, seule une décision de la cour serait susceptible de revenir sur cette situation. Or, cette décision peut parfois prendre deux années avant d’intervenir… soit la moitié du cycle ! On en arrive ainsi à la situation incongrue selon laquelle une organisation aura, en tout état de cause, tout intérêt à chercher à se voir reconnaître représentative, quitte à ce que cette décision soit annulée ultérieurement. On peut regretter cette situation de fait, qui tient, hélas, d’une manière générale à l’ordre administratif dans son ensemble… voire à l’ensemble du système juridictionnel. Le législateur pourrait-il, sur ce sujet, envisager un référé spécifique ?

Par Florence du Gardier et Pierre Safar, avocats associés, Dupuy & Associés

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