Dans un amendement à son projet de budget 2023, le gouvernement prévoit de faire participer financièrement les salariés à leur formation avec le compte personnel de formation (CPF). Antoine Foucher, qui fut directeur de cabinet de l'ex-ministre du Travail Muriel Pénicaud entre 2017 et 2020 et actuel président du cabinet de conseil Quintet, explique pourquoi cet amendement représente une erreur du gouvernement.

Décideurs. En quoi faire participer financièrement les salariés à leur formation porte un discrédit au CPF ?

Antoine Foucher. Lors de la création du CPF, l’ambition était de redresser la France économiquement en donnant les moyens à chacun d’augmenter ses compétences, et donc sa liberté professionnelle. On pariait sur le projet et l’engagement individuels afin de remonter le collectif. L’amélioration des compétences passe notamment par la formation. L’objectif du CPF, c’est donc de permettre à chacun, par un accès simple et financé à la formation, d’évoluer professionnellement, de changer de métier, de créer son entreprise, bref de trouver sa voie professionnelle, à tout moment de sa vie. Il y avait également une ambition démocratique : donner enfin cet accès à la formation à ceux qui en ont le plus besoin, et qui, jusqu’au CPF, se formaient le moins. Les chiffres prouvent qu’il s’agit d’un succès : depuis deux ans, 82% des utilisateurs du CPF sont des employés ou ouvriers. L’instauration d’un ticket modérateur va donc détourner de la formation les Français qui en ont le plus besoin, et qui commençaient, grâce au CPF et à sa simplicité, de se former :  inutile d’en dire davantage afin de comprendre qu’il est contraire à l’ambition macronienne de 2017.

Cette facilité d’accès était-elle déjà mise en difficulté par FranceConnect+ ?

FranceConnect+ a un objectif officiel et un officieux. L’objectif officiel, c’est de sélectionner les gens vraiment motivés : si c’est un peu plus compliqué de se former, alors, fait-on mine de croire, il n’y aura plus que les personnes vraiment déterminées qui se formeront, car leur motivation leur permettra de surmonter cette barrière. Cela fait au moins une dizaine d’années, grâce aux expérimentations aléatoires menées notamment par Esther Duflo, que l’on sait que ça ne marche pas ainsi dans la vraie vie : quand il y a une barrière administrative, les gens utilisent moins leurs droits ou accèdent moins aux services. La barrière ne sélectionne pas, elle dissuade. D’où l’objectif officieux, jamais affiché mais discuté comme tel dans les réunions gouvernementales : faire baisser la demande. Et malheureusement, ça marche : depuis l’obligation de demander préalablement une identité numérique à France Connect+ le 25 octobre dernier, la demande de formation a baissé de 50%...  

Doit-on alors craindre davantage d’inégalités ?

Le salaire médian en France est de 1800 euros net par mois. Le ticket modérateur est annoncé à 20% ou 30% et le coût moyen d’une formation via le CPF est de 1300 euros. Il s’agirait donc de mettre 260 euros de sa poche. Mathématiquement, ce sont bien les gens qui ont le moins d’argent qui seront le plus dissuadés. Même si le ticket modérateur est revu en fonction des revenus, et qu’il demeure une participation symbolique, la dissuasion fonctionnera à plein. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France en novembre dernier, Esther Duflo, à nouveau, rappelait les résultats d’une autre expérimentation sur l’effet de la gratuité d’un service. Est-ce que les gens, dans les régions où sévit le paludisme, utilisent davantage et mieux les moustiquaires quand elles sont gratuites ou quand ils doivent les payer, même un tout petit peu, de leur poche ? La conclusion de l’expérimentation est limpide : c’est la gratuité qui permet une utilisation massive des moustiquaires, et donc d’atteindre l’objectif d’intérêt général de réduction du paludisme !  C’est donc l’élan pour la formation professionnelle initié depuis 2018 qui risque d’être stoppé. Or, en matière de formation continue, la France est en retard. Selon la dernière étude du Programme pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) réalisée par l’OCDE, nous sommes devenus l’un des peuples les moins compétents en Europe…

"Il faut réguler l’offre et non la demande. S’attaquer aux droits des personnes n’est pas la solution"

La cour des comptes alerte toutefois sur un coût de plus de 2 milliards d’euros pour le CPF. Faut-il repenser le système ?

Il faut réguler l’offre et non la demande. S’attaquer aux droits des personnes n’est pas la solution. Trois pistes sont envisageables. Tout d’abord, établir un cahier des charges concernant les formations où se concentrent les fraudes : coaching, VAE et bilan de compétences. De plus, davantage d’informations concernant les taux de complétude et de certification doivent être rendues publiques, pour mieux aider les gens à choisir, et éliminer, de fait, les mauvaises formations qui ne vont pas au bout ou ne débouchent pas assez sur l’obtention de la certification. Enfin, évaluer le rapport entre formation et emploi semble nécessaire. À partir d’un certain taux de chômeurs ayant effectué une formation sans retrouver d’emploi derrière, celle-ci doit être déréférencée, automatiquement du CPF. Il faut réguler l’offre avant toute chose mais cela n’empêche pas la nécessité d’un surcroît d’investissement de la part de l’État. La France possède un très haut niveau de dépenses publiques et sociales, mais pas pour l’éducation. Toujours d’après les chiffres de l’OCDE, nous sommes le treizième pays en matière de dépenses publiques d’éducation (primaire, secondaire et tertiaire) rapportées au PIB. Ne pas avoir les compétences dont le pays a besoin représente, à moyen-long terme, un coût bien plus important que l’investissement de départ. La nation doit se fixer un objectif global pour la formation et la reconversion professionnelle. Cette dernière est notre principale lacune dans notre nouveau système de formation : nous n’avons toujours pas de dispositif massif et efficace de reconversion. Pourtant, les solutions sont simples à mettre en œuvre, et publiques. Mais là aussi, c’est un investissement à assumer et à faire financer par une réduction des dépenses publiques ailleurs.

En cette rentrée 2023, le gouvernement diminue les indemnités de l’assurance chômage tout en rendant l’accès à la formation plus difficile….

Cet "en même temps"-là ne passe pas. La combinaison de ces deux mesures est anti-macronienne, en tout cas au sens de 2017. On dit aux Français : formez-vous davantage, reconvertissez-vous mais avec moins de droits à l’assurance chômage et à la formation. Personne n’est dupe, cela ne peut pas marcher.

Propos recueillis par Elsa Guérin

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