De nouveaux métiers digitaux aux appellations toujours plus spécifiques ne cessent d’apparaître dans les offres. Quelle réalité reflètent-ils et quelles difficultés créent-ils pour les candidats et les entreprises ? Entre la nouveauté réelle des métiers et les effets du marketing de postes difficiles à pourvoir, comment faire la différence ?

Multiplication des nouvelles appellations de métiers digitaux dans les intitulés de poste ; flou et tension sur les salaires ; explosion des budgets de recrutement ; jeunes diplômés chassés très (trop) tôt dans leur parcours ; exigences excessives de profils confirmés, trop sollicités ; attentes peu réalistes de part et d’autre – sans compter les tensions internes que causent les incohérences salariales entre nouveaux arrivés et collaborateurs de longue date : le marché des talents IT et digitaux affiche, aujourd’hui encore, une dimension indéniablement chaotique.

Une confusion qui ne cesse de s’amplifier

On explique généralement cette turbulence par un manque de candidats qualifiés. Ce n’est qu’en partie vrai et ne suffit pas à expliquer le phénomène. On pourrait penser que de "nouveaux métiers" réclamant des compétences inédites ne cessent d’apparaître dans la Tech, avec pour conséquence logique, une pénurie de profils capables de les exercer. La réalité est plus nuancée car les "nouveaux métiers" ne sont pas tous "nouveaux", ce sont leurs intitulés qui le sont ! Il en découle une confusion grandissante pour les candidats et les entreprises qui recrutent. Dire qu’il n’y a pas de nouveaux métiers peut sembler excessif et provocateur mais résume assez bien les enjeux actuels du recrutement digital. Il y a, certes, de nouvelles compétences techniques et combinaisons de compétences, de nouveaux intitulés pour les postes, de nouvelles méthodologies et outils, mais les métiers digitaux conservent un socle de "fondamentaux" inchangés. Ce qui manque le plus actuellement, ce sont des repères communs et intelligibles pour tous les acteurs.

"Ce qui manque le plus actuellement, ce sont des repères communs et intelligibles pour tous les acteurs"

Un manque de référentiel métiers

En effet, il devient de plus en plus difficile pour les organisations de traduire leurs besoins en un "intitulé de poste" destiné à attirer l’attention des "bons" candidats. Hérités des méthodologies DevOps, Scrum, et/ou des organigrammes des pure players, les intitulés et les titres qui figurent sur les offres sont toujours plus fortement "marketés" pour séduire une cible. Ils sont laissés à la libre appréciation de chacun, ce qui explique que différents intitulés puissent recouvrir une même fonction et à l’inverse, qu’un même titre recouvre des réalités différentes. Chef produit, product owner, product manager désignent des réalités proches dans des "cultures" différentes. A-t-on besoin d’un product growth, d’un responsable acquisition senior ou d’un traffic manager ? Que recouvre, par exemple, un intitulé tel que data scientist/marketeur social aux yeux d’un candidat ? Il manque actuellement un nouveau référentiel métiers et compétences pour les fonctions du digital, formant les bases d’un langage commun. Ce référentiel permettrait par exemple, à l’entreprise X de comprendre qu’elle n’a pas besoin d’un data scientist (rare et cher) mais d’un analyste marketing, familier de l’analyse et de la segmentation clients des bases de données et capable d’exploiter tel ou tel outil. En effet, si toutes les entreprises n’ont pas des besoins identiques, toutes recherchent actuellement (et formulent dans leurs offres) les mêmes typologies de profils, au risque d’accentuer leur problème de recrutement. Elles sont aussi nombreuses à ajouter de nouvelles compétences (et préférences d’expérience) à leurs anciens descriptifs de poste, plutôt que de les réévaluer entièrement. Les profils candidats sont parfois alourdis d’exigences obsolètes et d’attributs "nice to have" plutôt que centrés sur une liste de besoins réels, ce qui réduit d’autant plus les chances de trouver la perle rare. Depuis des années maintenant, Clémentine oeuvre à réaliser des fiches métiers (70 à ce jour) afin de contribuer à une clarification des appellations mais aussi de ce que recouvre la terminologie employée dans différents  domaines (qu’il s’agisse des techniques du Web, des systèmes d’information, du Big Data, du marketing digital, des fonctions commerciales, etc.) Nous avons été agréablement surpris par le nombre de consultations de ce travail en accès libre sur notre site. L’aspiration à une clarification des jargons professionnels est grande, ce qui nous encourage à poursuivre nos efforts !

L’automatisation n’est pas une clarification !

Côté candidats, une quantité non négligeable de profils dotés d’un socle de compétences transférables et d’une vraie motivation est malheureusement écartée du marché – le refus de considérer certaines candidatures ne tenant parfois qu’à la terminologie employée par l’une ou l’autre partie. De même, le recours croissant aux algorithmes de sourcing – entièrement tributaires de la data disponible et de correspondances sémantiques restreintes – empêche la rencontre entre des candidats aux compétences utilisables (qui existent) et les besoins concrets des entreprises. Se dressent entre eux les mots-clés des "nouveaux métiers". L’absence de certains critères (plus ou moins bien paramétrés) dans les candidatures, mais aussi la tranche d’âge, disqualifie parfois d’excellents candidats que seul un travail humain permet de "repêcher" ensuite ! Enfin, l’idéologie du perfect match, toujours plus envahissante, pousse les managers à des exigences extrêmes. Ils auront tendance à écarter qui n’est pas opérationnel dans l’heure (mais pourrait l’être à très court terme). On propose donc à des candidats en poste... le poste qu’ils occupent déjà ! Chez Clémentine, nous pensons et affirmons que dans un contexte de "guerre des talents", l’automatisation des processus de sélection et de recrutement n’est pas la solution pertinente à privilégier. Certes, les outils de tracking des profils sont d’une grande aide,
mais ils ne sont pas omniscients.

"L’idéologie du perfect match, toujours plus envahissante, pousse les managers à des exigences extrêmes"

Quels repères aujourd’hui pour le management ?

Côté management, les pratiques d’acquisition des talents tardent à évoluer en phasev avec les réalités du marché. Le fait est qu’on ne laisse pas aux managers la possibilité de consacrer le temps nécessaire à l’évaluation ou à la formation. Aujourd’hui, tout les incite à faire des choix pragmatiques et cost-effective, c’est-à-dire à limiter rapidement leur recherche aux profils ayant déjà fait ce qu’ils vont leur demander de faire ! Le digital étant réputé pour évoluer à grande vitesse, la tentation est grande de choisir des profils situés au-dessus des besoins réels (et pour lesquels il n’y aura, rapidement, plus assez de tâches motivantes) et d’afficher des intitulés de postes attractifs. Tout cela conduit à amplifier l’effet de "pénurie" de talents. Cela est d’autant plus regrettable que les modèles d’organisation actuels reposent sur l’intelligence collective. Or, celle-ci ne peut être produite par des profils "clones" issus des mêmes formations, avec la même expérience calibrée et le même skillset, mais par des individus différents, engagés dans un même projet sur lequel ils portent un regard singulier et unique. La mythologie du "nouveau métier" n’a plus l’utilité qu’elle a pu avoir ; au contraire, le flou entretenu par les intitulés peut créer un malentendu préjudiciable plus tard, lors de l’intégration et de la collaboration réelle. C’est pourquoi chez Clémentine nous nous attachons, lorsqu’il le faut, à faire comprendre aux entreprises clientes que les A-players (qui sont la cible des nouveaux intitulés métiers) ne sont pas systématiquement le meilleur choix, contrairement à ce qu’elles pensent.

SUR L’AUTEUR : Diplômé de l’ISG, Emmanuel Stanislas poursuit ses études RH à Berkeley, avant de rejoindre à San Francisco, Landor Associates, leader du corporate identity. Il y apprend à saisir et valoriser ce qu’il y a d’unique dans une entreprise. De retour en France, il rejoint Euro RSCG comme directeur conseil avant de fonder sa première société de recrutement et formation de force de vente, qu’il quitte après cinq ans pour rejoindre un cabinet de chasse. Dès 1998, il y développe l’offre à destination du monde des télécoms, alors en pleine dérégulation. En 2000, à l’aube d’une nouvelle ère digitale, il fonde Clémentine, cabinet de conseil en recrutement pionnier, spécialisé sur les fonctions digitales et IT. Clémentine accompagne les grands noms du CAC 40, de grandes institutions publiques et des leaders du Web. Coach certifié, Emmanuel Stanislas accompagne des managers en situation de prise de poste.

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