Les personnalités ayant été au service de l’État avant de rejoindre des grands groupes privés continuent d’occuper les organigrammes. Toutefois, la mondialisation, les promotions en interne et la valorisation de l’expérience dans un secteur particulier font bouger les lignes.

Il y a une petite dizaine d’années, près de la moitié des dirigeants du CAC 40 avaient fourbi leurs armes dans la haute fonction publique avant de gravir les marches au sein de leur groupe. Pour ne citer qu’eux : Michel Pébereau, le patron de BNP Paribas qui a façonné la banque que l’on connaît aujourd’hui, est un ancien conseiller du ministre de l’Économie Valéry Giscard d’Estaing ; Gérard Mestrallet, l’ex-PDG d’Engie, a également travaillé pour Bercy, de même que Jean-Marie Messier (Vivendi) avant de rejoindre le cabinet d’Édouard Balladur. Si les cabinets ministériels ont longtemps servi de tremplins pour de belles carrières dans le privé, qu’en est-il aujourd’hui ?

Un grand classique pour le CAC 40

Prenons l’exemple des patrons du CAC 40. Leurs parcours reflètent souvent la manière dont fonctionnent les promotions des cadres dirigeants au sein des grandes entreprises et révèlent le type de profils recherchés. Actuellement, une douzaine d’entre eux sont passés par des cabinets ministériels. Les deux hommes forts de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé (DG) et Jean Lemierre (PDG), s’inscrivent dans la lignée de Michel Pébereau. Après Polytechnique et le corps des Mines, le premier a travaillé sur les sujets liés à l’industrie avant de rejoindre le ministère du Redéploiement industriel et du Commerce extérieur, et le second est passé par les bancs de Sciences Po et de l’ENA, intégrant par la suite l’administration fiscale, le Trésor ainsi que le cabinet du ministre des Finances.

Une douzaine d’entreprises du CAC 40 ont à leur tête un dirigeant venu du public

Saint-Gobain est également une entreprise qui suit ce schéma classique du capitalisme français : son président tout comme son directeur général ont foulé les couloirs de Bercy. On retrouve des expériences similaires en haut des organigrammes d’Orange, Sanofi, Thales, Total et Worldline. À noter que, concernant ces cinq entreprises, il s’agit des présidents ou des PDG, donc des profils souvent plus seniors que pour les directions générales au sein desquelles ce type de profils tend à diminuer.

Les profils évoluent

Cette baisse s’explique en partie par une gouvernance davantage éclectique,reflet de la mondialisation. Selon les calculs du Monde, treize groupes ont à leur tête un patron ayant un passeport étranger ou bénéficiant de la double nationalité. C’est le cas de Renault avec Luca de Meo et de Société générale avec Lorenzo Bini Smaghi, tous deux italiens. Chez Legrand, Angeles Garcia-Poveda est espagnole quand Paul Hudson de Sanofi est originaire de Grande-Bretagne. Des entreprises qui accueillent à leur tête des personnalités venues d’ailleurs ont tendance à plus diversifier le reste de leur organigramme que les autres.

En outre, ont été nommés récemment à la tête d’entreprises du CAC 40 des dirigeants qui ont fait toute leur carrière ou presque au sein du groupe comme Olivier Roussat chez Bouygues, Nicolas Hieronimus chez L’Oréal et Slawomir Krupa à la Société générale ; mais aussi des spécialistes du secteur comme Antoine de Saint-Affrique chez Danone et Catherine MacGregor chez Engie. Ce qui limite le parachutage de hauts fonctionnaires propulsés rapidement à de hauts postes dans de grands groupes après avoir fait carrière dans le public.

Les polytechniciens à l'honneur

Par ailleurs, selon l’étude CAC 40 2023 du cabinet VcomV publiée dans Les Échos, les renouvellements de dirigeants depuis 2019 ont marqué l’avènement des ingénieurs face à des profils plus généralistes (30 % des têtes du CAC 40 sont passées par Polytechnique et 10 % par Centrale) et la quasi-disparition des énarques, quatre fois moins nombreux qu’il y a dix ans. Les polytechniciens et les énarques étant formés et rémunérés par l’État durant leurs études, les anciens élèves sont tenus de travailler dix ans pour lui ou de rembourser une partie des frais de leur cursus. Ce qui les pousse à travailler dans le public avant, parfois, d’opter pour une carrière dans le privé.

Certains patrons seraient un peu lassés de se voir glisser des CV par des conseillers lors de leurs rendez-vous en ministères

Longtemps, les grandes entreprises recherchaient des collaborateurs en provenance du public, que ce soit pour bénéficier de leurs carnets d’adresses ou de leur connaissance des services de l’État. L’engouement pour ces profils se serait un peu tari, certains patrons étant lassés de se voir glisser des CV par des conseillers lors de leurs rendez-vous en ministères. Par ailleurs, des commentateurs dénoncent cette perméabilité qui accroît les risques de conflits d’intérêts et de favoritisme, notamment lors des appels d’offres, même si des règles existent qui les limitent.

Les futurs patrons

Même si les mouvements entre le public et le privé tendent à diminuer dans les organigrammes des groupes, les hauts fonctionnaires continuent de constituer un vivier de potentiels patrons pour les grandes entreprises. Celles-ci les promeuvent en leur sein, quitte à les voir repartir pour le public. C’est le cas d’Adrienne Brotons, qui est passée par Bercy et l’Élysée pour rejoindre Renault avant de revenir au ministère de l’Économie en qualité de directrice de cabinet de Roland Lescure, ministre chargé de l’Industrie. Morgane Weill a choisi ce type de carrière mais a effectué, pour sa part, une parenthèse chez Carrefour. Elle y a d’ailleurs suivi un parcours assez classique (chez les plus brillants anciens conseillers) : directrice de cabinet du PDG Alexandre Bompard, elle a été la plus jeune directrice exécutive des supermarchés France. Elle exerce aujourd’hui au sein du cabinet de Bruno Le Maire.

On observe des mouvements entre le public et le privé chez des quadragénaires de la génération au-dessus qui ont réussi à percer dans les grands groupes. Citons Carine Kraus (Bercy, directrice de cabinet du patron de Veolia, promue à des postes opérationnels avant de rejoindre Carrefour), Nicolas Namias (Bercy, Matignon, en charge de la transformation chez Natixis et désormais président du directoire de BPCE) ou encore Julie Bonamy (directrice générale de CertainTeed Canada au sein de Saint-Gobain, ex-conseillère d’Emmanuel Macron à Bercy). Des profils considérés comme figurant parmi les meilleurs par les chasseurs de têtes et dont nous n’avons pas fini d’entendre parler. Le schéma classique a encore de beaux jours devant lui.

Olivia Vignaud

 

Photo : Bercy ; copyright : Fred Romero

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