Gilles Babinet est coprésident du Conseil national du numérique, professeur à Sciences Po Paris et membre de l’Institut Montaigne. Il vient de faire paraître Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet, ouvrage dans lequel il met en valeur les influences respectives entres les nouvelles technologies et les idéologies dominantes. Dans le cadre de son intervention à l'USI, il aborde pour Décideurs la question de ChatGPT et son impact sur le monde du travail.
Gilles Babinet : "ChatGPT représente l’avènement d’une nouvelle ère"
Décideurs. L’impact de ChatGPT sur le monde du travail est souvent comparé à celui de la révolution industrielle. Pensez-vous que cela soit pertinent ?
Gilles Babinet. Je le crois, en effet. Nous avons dans les deux cas une innovation technique mais aussi un changement de l’approche culturelle de la technique. Tout comme il a fallu presque un siècle entre l’invention de la première automobile à moteur à explosion et le permis de conduire, beaucoup de temps sera nécessaire pour trouver une juste régulation de l’intelligence artificielle. Mais cela ne veut pas dire que les entreprises ne doivent pas dès maintenant se former à l’intelligence artificielle.
"Nous aurons affaire à ce que je nomme un "frottement schumpétérien" : de la création d’un certain côté et de la disparition de l’autre"
Comment les directions des ressources humaines peuvent-elles s’emparer de l’IA ?
L’arrivée de ChatGPT représente l’occasion pour les directions des ressources humaines d’exercer pleinement leur métier. Je m'explique : celles-ci sont encore souvent subordonnées aux directions des opérations afin de les aider à mettre en place de nouveaux processus de production. À présent, les DRH doivent s’emparer de l’émergence de l’IA afin de percevoir, comprendre et anticiper les ruptures qu’elle va générer en matière d’emploi ou de compétence.
Avec ChatGPT, certains métiers vont s'éteindre. Doit-on s’en inquiéter ?
Ce serait mentir que de dire que des emplois ne vont pas disparaître. Par exemple, les traducteurs et les métiers rédactionnels se trouvent, en effet, susceptibles d’être remplacés. Nous aurons affaire à ce que je nomme un "frottement schumpétérien" : de la création d’un certain côté et de la disparition de l’autre. Sur le moyen terme, je ne pense toutefois pas qu’il faille s’en inquiéter. Nous pouvons percevoir dans l’intelligence artificielle une création de valeur. Les pays occidentaux, surtout européens, possèdent un avantage important : un socle social développé. Toutefois, il est justement temps de renforcer les actions de formation, GPEC et mobilité.
ChatGPT semble bouleverser l’approche que nous avons de l’innovation. Est-ce bien le cas ?
ChatGPT représente l’avènement d’une nouvelle ère, un point d’inflexion au sein de l’innovation technologique. Lorsque Sam Altman invite lui-même à la régulation de sa création, l’alliance entre technique et culture de la technique devient indispensable. Nous nous dirigeons vers une nouvelle époque qui prendra certainement en compte les impératifs de décarbonation et d’inclusion. Il n’est pas trop tard pour orienter le capital humain dans la bonne direction.
Propos recueillis par Elsa Guérin