La pandémie de Covid-19 a engendré une mutation structurelle du lien de subordination. Le travail se développe hors les murs de l’entreprise, en dehors de tout contrôle direct de celle-ci. Si le télétravail est la manifestation la plus connue de ces nouvelles formes d’organisation, on assiste à l’émergence de nouvelles pratiques brouillant les frontières entre les loisirs et le travail. Cela crée, pour les ressources humaines, de nouveaux enjeux d’attraction et de rétention des talents. Ce propos sera illustré par quatre tendances principales.

Prolongation, à titre personnel, d’un déplacement professionnel

Il s’agit de la tendance la plus ancienne : le collaborateur prolonge, pour ses loisirs, un déplacement professionnel. Cette pratique est également dénommée "bleisure" : contraction de business (affaires) et de leisure (loisirs). De plus en plus d’entreprises offrent cette flexibilité et prennent en charge tout ou partie des frais qui en découlent. Sous l’angle du droit du travail, certaines problématiques émergent.

• Traitement social des avantages en nature et professionnels

Il n’existe pas, à notre connaissance, de réglementation établie. Un parallèle peut toutefois être effectué avec les séminaires d’entreprise qui constituent des frais exonérés de cotisations de sécurité sociale à condition qu’un programme de travail soit organisé et mis en oeuvre. La logique du bleisure est similaire : la prolongation du séjour à titre personnel découle, nécessairement, de contraintes professionnelles. Dès lors, l’intégralité des frais devrait pouvoir être déduite. Il en va toutefois différemment lorsque le collaborateur voyage avec sa famille et que l’employeur prend en charge les coûts liés aux personnes qui l’accompagnent. Il ne s’agit plus de frais d’entreprise mais d’un complément de rémunération à réintégrer dans l’assiette des cotisations.

• Qualification d’accident du travail

Quelle qualification apporter à l’accident qui survient alors que le salarié prolonge, à titre personnel, un déplacement professionnel ? Cette question renvoie à la situation des salariés en mission. Rappelons que selon une jurisprudence constante, est un accident du travail celui survenu pendant le temps de la mission, peu importe qu’il ait eu lieu à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel (Cass. Civ. 2e 19 juillet 2001, n° 99-21.536 ; Cass. Civ. 2e 12 octobre 2017, n° 16-22.481). Les entreprises devront donc être particulièrement vigilantes dans la rédaction de leurs politiques de voyages en insistant sur le fait que dès lors que le salarié prolonge son séjour, il n’est plus sous l’autorité de l’employeur. À défaut, une prise en charge au titre de la législation professionnelle sera vraisemblablement effectuée.

"Entre le travail et les congés, les adeptes du workation ne veulent plus choisir"

Travail depuis un lieu de vacances

Autre mode de travail hybride, la pratique du "workation", contraction de work (travail) et vacation (vacances), se développe. Les salariés du Club Med peuvent ainsi télétravailler depuis un village de vacances. De même, le groupe Pierre & Vacances a développé une offre spécifique de télétravail. Entre le travail et les congés, les adeptes du workation ne veulent plus choisir. Ces collaborateurs s’engagent ainsi à se connecter pour gérer tel ou tel dossier ou pour honorer tel rendez-vous, mais ils sont en villégiature le reste de la journée. Là encore, ce nouvel équilibre vie professionnelle / vie personnelle soulève des difficultés du point de vue du droit du travail. Les questions du traitement des avantages en nature et de la qualification des accidents susceptibles de survenir doivent, selon nous, être traitées de la même manière que dans la pratique du bleisure. D’autres problématiques apparaissent cependant.

• Contrôle de la durée du travail

C’est sans doute ici que le droit du travail apparaît le moins adapté. Le contrôle de la durée du travail, le respect des temps de repos (11 heures consécutives par jour et 35 heures consécutives par semaine) sont autant d’obstacles aux avantages que la pratique du workation est censée offrir aux collaborateurs et à leurs familles. Il est conseillé de définir, par accord d’entreprise, les plages de connexion obligatoire afin de pallier au mieux ces difficultés.

• Contrôle de la prise des congés payés

Le principe même du workation est de travailler pendant ses congés. En conséquence, il est indispensable de définir le statut de ces jours hybrides : jours travaillés ? jours de congé ? jours décomptés pour moitié du solde de jours de congé ? Diverses approches sont possibles et là encore, l’accord collectif est un outil adapté.

• Autres points de vigilance

À cela s’ajoutent d’autres points de vigilance et, en particulier, la définition des fuseaux horaires sur lesquels le collaborateur est autorisé à télétravailler, ou encore l’exigence d’une connexion wifi performante et sécurisée. À titre d’exemple, le Club Med autorise la pratique du workation à condition que le resort se situe sur le même fuseau horaire que la France métropolitaine et bénéficie d’une connexion wifi premium.

Remote work

Cette pratique est en voie d’expansion au sein des groupes internationaux. Le salarié a conclu un contrat de travail avec une entité française, mais travaille à l’étranger soit pour le compte d’une filiale, soit pour des raisons personnelles.
Le droit du travail appelle un certain nombre de précautions. Il est, tout d’abord, indispensable de respecter les lois de police du pays d’exercice de l’activité. Il convient, par ailleurs, de veiller au respect des obligations en matière fiscale et de sécurité sociale. Ici, en dehors du dispositif de détachement, le principe est celui de la territorialité : le collaborateur cotise et paie son impôt dans le pays où il travaille. Au-delà de 183 jours par an à l’étranger, il perdra son statut de résident fiscal français. Il faudra alors ouvrir un payroll dans le pays de résidence afin de permettre le prélèvement des cotisations de sécurité sociale et l’ouverture des droits afférents.

Travail depuis un lieu dissimulé à l’employeur

Cette dernière tendance, dénommée hush trip, consiste à ne pas informer l’employeur du lieu où se trouve le salarié. Ce dernier peut ainsi voyager, tout en déclarant télétravailler. Cette pratique constitue incontestablement un manquement à l’obligation de loyauté inhérente au contrat de travail. Encore fautil toutefois préciser, dans les chartes ou accords d’entreprise, que le télétravail n’est possible que dans une zone géographique spécifique (en France métropolitaine ou dans une région déterminée lorsque le salarié doit être en mesure d’intervenir rapidement en présentiel). À défaut, l’employeur ne peut pas imposer le lieu où le travail est réalisé. Cette nécessité d’encadrer la pratique du télétravail se conjugue avec l’obligation de sécurité incombant à l’employeur. Il lui appartient, en effet, de mettre en œuvre les méthodes de travail garantissant le meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Cela suppose nécessairement qu’il soit informé du lieu d’exécution du travail afin de prendre les mesures de prévention qui s’imposent.

Sur l'auteur : Agnès Viottolo est avocate au barreau de Paris et docteur en droit. Le cabinet Teitgen & Viottolo, 100 % dédié au droit et au contentieux de l’entreprise, conseille ses clients sur toutes les problématiques de droit social, ee droit des affaires et de droit pénal des affaires.

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