Élue meilleure entreprise pour les femmes par le magazine Forbes, la MAIF a conclu début 2024 un accord DEI aux orientations plutôt rares en la matière : jours de congés pour des transitions de genre, pour l’IVG, pour les PMA, les arrêts naturels et interruptions médicales de grossesse, assistance aux personnes aidantes, allongement du congé coparent à huit semaines. Rencontre avec Janick Debref, directeur de la stratégie RH et des relations sociales, qui en a piloté la mise en place.
Janick Debref (MAIF) : “La MAIF étant composée à 68 % de femmes, il était évident d’inscrire la prise en compte de l’IVG dans notre charte”
Décideurs RH. Vous avez conclu début 2024 un accord diversité et inclusion ambitieux au sein de la MAIF : d’où est partie cette nouvelle étape de votre politique RH ?
Janick Debref. Les premiers accords de la MAIF sur l’inclusion datent d’il y a vingt ans : nous souhaitions donc faire un état des lieux et les mettre à jour. Dans un premier temps, nous avons mené une grande enquête auprès de nos 8 000 collaborateurs et collaboratrices, dont la conduite a été déléguée à un prestataire externe afin d’en assurer l’objectivité. Nous avons été heureux de constater que 85 % des personnes qui travaillent chez nous affirment pouvoir "être eux-mêmes" dans l’exercice de leurs fonctions.
Comment s’est déroulé ce processus de dialogue social ?
Une fois l’enquête analysée, nous avons entamé une phase de coconstruction avec les partenaires sociaux. Chaque partie prenante est arrivée avec des propositions, qu’il a fallu ensuite trier selon qu’elles relevaient d’une vision sociétale, d’entreprise ou personnelle – car inévitablement, les trois coexistent pendant ces dialogues.
Enfin, il fallait organiser l’application de cet accord, afin de pouvoir mettre en œuvre, piloter les mesures que nous avions choisies, et d’assurer un socle solide sur le plan managérial.
Justement, comment avez-vous agi sur la culture managériale, afin de prévenir tout agissement discriminant ?
Chez nous, les changements passent par une communication permanente et par de la formation : tout manager qui entre à la MAIF suit au moins une formation présentielle sur la diversité. Nous nous assurons que le management soit pleinement embarqué dans notre dynamique.
Nous organisons une formation obligatoire : « Manager sans discriminer », à laquelle s’ajoute toute une offre de conférences, microlearnings, ateliers, ainsi qu’une sensibilisation au sexisme pour l’ensemble des salariés. Enfin, une exposition itinérante a été montée, dans laquelle des salariés volontaires parlent de leur handicap, visible ou non visible. Cet ensemble d’actions nous permet de nous assurer d’un ancrage profond de l’inclusion au sein de notre entreprise.
Parmi mes fonctions figure également la gestion des contentieux disciplinaires, et si des agissements contraires à notre politique d’inclusion sont identifiés, nous agissons avec détermination.
“Quand nous avons découvert que les salariés directement concernés ou sensibles à la question du genre se sentaient moins à l’aise à la MAIF que les autres, nous avons voulu leur envoyer un signal”
Vous introduisez dans votre accord d’entreprise plusieurs points qui, encore aujourd’hui, sont des impensés RH et sont même controversés : trois jours rémunérés pour une transition de genre d’une part, et deux jours pour une IVG, d’autre part. Cela demande de la vision, des convictions et du courage politique. Pouvez-vous nous en parler ?
Depuis sa naissance, la MAIF revendique son engagement politique et social, et cela est un marqueur de notre identité depuis 90 ans. Ces mesures requièrent en effet du courage à plusieurs niveaux. Cela crée des débats en interne, de même qu’avec nos sociétaires : certains nous ont exprimé leur mécontentement, mais nous avons reçu des témoignages de fierté en écrasante majorité.
L’entreprise fait partie intégrante de la société : elle est traversée par les mêmes dynamiques, et nous sommes attentifs à rester à l’écoute de ses changements. Nos dirigeants n’ont pas de tabous non plus. Quand nous avons découvert que les salariés directement concernés ou sensibles à la question du genre se sentaient moins à l’aise à la MAIF que les autres, nous avons voulu leur envoyer un signal. Nous savons bien qu’une transition de genre prend évidemment plus que trois jours, néanmoins cette mesure est une manière de leur affirmer notre soutien concret et managérial.
Enfin, la MAIF étant composée à 68 % de femmes, il était évident d’inscrire l’IVG dans notre charte, surtout au moment où l’inscription de ce droit dans la Constitution était débattue.
“Une absence en arrêt maladie est déduite des primes d’intéressement : il s’agissait de rétablir une justice pour les femmes, qui ne peuvent pas voir leur prime d’intéressement réduite parce qu’elles ont dû subir une IVG par exemple”
Vous complétez aussi des dispositifs existants : jour supplémentaire suivant une implantation embryonnaire lors d’une PMA, deux jours pour une fausse couche ou une IMG. Pouvez-vous commenter ces mesures ?
Une fois de plus, il s’agissait d’être pragmatique et d’envoyer un signal. À la MAIF, il n’y a pas de carence pour maladie : à première vue, ces jours peuvent paraître superflus. Or, une absence en arrêt maladie est déduite des primes d’intéressement : il s’agissait de rétablir une justice pour les femmes, qui peuvent voir leur prime d’intéressement réduite parce qu’elles ont dû subir une IVG par exemple.
Les congés pour fausse couche, PMA ou IMG sont-ils aussi alloués aux compagnons et compagnes ?
Non, et c’est un point sur lequel nous voulons travailler. Un collaborateur m’a récemment fait part de la difficulté qui a été la sienne lors des fausses couches de sa compagne, et nous entendons évidemment que ces moments sont aussi très douloureux pour les conjoints et conjointes.
Vous abordez aussi l’aidance, en doublant l’indemnité prévue par les congés légaux et en assouplissant le télétravail : comment avez-vous identifié le besoin en la matière ?
Notre accord seniors a porté notre attention sur ce sujet : l’aidance touche davantage ces populations, dont les parents sont par définition plus âgés. Nous avons constaté que 1 800 personnes pouvaient être concernées chez nous : il fallait identifier des façons de les accompagner. En doublant l’indemnité légale et en assouplissant leurs conditions de télétravail, nous minimisons leurs risques de craquer sous l’accumulation des pressions professionnelles et familiales. Cette politique libère la parole et peut même faire prendre conscience à certaines personnes qu’elles sont en situation d’aidance. Elles sortent ainsi de l’isolement et se savent soutenues. En tenir compte évite des risques psychosociaux avérés.
“Nous devions faire un choix : piloter précisément l’utilisation de ces mesures ou mettre les salariés en confiance. Nous avons donc opté pour la confiance en créant un motif d’absence générique dans le SIRH”
Comment assurez-vous l’accès à ces droits, afin d’en garantir la confidentialité ? Est-ce via le SIRH ? La médecine du travail ?
Cela a été un vrai sujet de débat en interne. Il y a deux types d’événements : ceux couverts par l’État et ceux qui ne le sont pas. Dans le cas de l’aidance, qui est certifiée par l’État, nous avons besoin d’une attestation de la CAF pour octroyer l’aide.
Pour les autres – fausse couche, PMA, IVG, transition de genre, et même règles douloureuses –, nous devions faire un choix : piloter précisément l’utilisation de ces mesures ou mettre les salariés en confiance. Nous avons donc opté pour la confiance en créant un motif d’absence générique dans le SIRH.
Pour les inconforts passagers, comme ceux que traversent les femmes en début de grossesse, c’est la même chose : nous élargissons l’usage du télétravail.
Vous avez allongé le congé coparent à huit semaines entièrement rémunérées : de quelle conviction part cette décision ?
Nous savons que beaucoup d’hommes n’utilisent pas l’ensemble de leurs droits, de peur d’être stigmatisés. En allongeant le congé, nous montrons notre encouragement à y avoir recours. Par ailleurs, nous veillons à ce que nos managers soient des relais auprès des nouveaux coparents pour éviter le moindre blocage au moment d’accueillir leur enfant.
Le magazine Forbes a élu la MAIF meilleure entreprise pour les femmes : pouvez-vous expliquer comment votre politique favorise la progression des carrières féminines, et comment vous mesurez son efficacité ?
La MAIF a 90 ans, et a jadis compté 90 % de femmes parmi ses effectifs. Notre politique RH familiale existe depuis très longtemps, et le très faible taux de turnover en est la conséquence positive. Pour ce qui est du taux de promotion des femmes, tous nos objectifs sont atteints depuis huit ans – sauf un concernant les cadres moyens, sur lequel nous travaillons.
Nos politiques de rémunération ont longtemps été pensées selon deux critères principaux : l’ancienneté et des augmentations collectives, puis ont évolué en intégrant davantage des critères d’individualisation. Pendant quatre ou cinq ans, nous avons disposé d’un budget afin de réduire les écarts constatés. Et à chaque campagne annuelle d’augmentation des salaires, nous examinons tous les facteurs de discrimination pour nous assurer qu’il n’y a pas d’écart injustifié.
Propos recueillis par Judith Aquien