L’économiste revient sur le décret Montebourg.
Décideurs. Le décret Montebourg relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable est-il viable ?

Élie Cohen. Le décret Montebourg est politique. Il est fait pour que le gouvernement ne s’en serve pas. C’est une manifestation de la volonté de l’État de peser sur les regroupements, rationalisations et restructurations industrielles. Si le gouvernement venait à s’en servir, une série de problèmes émergeraient immédiatement. Par exemple, quelle instance serait légitime pour prendre des décisions concernant une restructuration dans une entreprise privée cotées ? Est-ce le conseil d’administration de l’entreprise ou l’État ? Au nom de quoi ? Ensuite, il faudrait démontrer que le droit de veto est le seul moyen de protéger les intérêts stratégiques français.
D’autres moyens existent pour protéger les fleurons de l’industrie nationale. Le gouvernement aurait pu s’inspirer des solutions mises en œuvre aux États-Unis lors du rachat d’une de leurs entreprises par le groupe français Péchiney. Le conseil d’administration et le management sont restés américains. Idem pour l’accès aux technologies de l’entreprise, seules les personnes accréditées d’essence nationale américaine pouvaient accéder à ces technologies.


Décideurs. Le décret Montebourg est-il un mauvais signal envoyé aux investisseurs étrangers ?

É. C. Le décret Montebourg ne va pas particulièrement impacter l’investissement étranger en France. Contre les investissements non communautaires, la France s’était déjà dotée il y a quelques années d’outils nécessaires, notamment avec le décret Villepin en 2005. Depuis, un investisseur étranger doit demander une autorisation au Trésor public avant d’acquérir le contrôle d’une entreprise française cotée. La mise en place d’un dispositif supplémentaire était inutile d’autant que le gouvernement l’a fait simplement pour peser dans le rapport de force qu’il veut nouer avec l’entreprise. Les pouvoirs politiques veulent montrer que les sociétés n’ont pas tous les droits et surtout pas celui de traiter avec désinvolture les décisions étatiques.
D’ailleurs dans aucun pays au monde, les entreprises nationales n’échappent au regard du gouvernement lors d’une cession ou d’un rachat d’entreprises nationales. Récemment au Royaume-Uni, les vues du géant américain Pfizer sur le laboratoire AstraZeneca ont fait réagir vivement le gouvernement britannique.



Décideurs. Pour quelles raisons l’État est-il légitime à intervenir dans les secteurs stratégiques ?

É. C. Si, dans une région, il y a une grande concentration d’emplois, de compétences ou une activité dominante, la cession d’un actif national à un investisseur étranger pose inévitablement toute une série de questions qui reviennent à la responsabilité de l’État. Le gouvernement doit pouvoir empêcher une éruption sociale qui interviendrait en raison d’une cession mal négociée.
Il est légitime dans son intervention auprès des secteurs stratégiques d’abord par sa volonté de protéger l’emploi dans un contexte économique où le chômage tient le premier rôle. Ensuite par sa détermination à garder les sièges sociaux sur son territoire national.
Mais l’intervention de l’État doit obéir à des règles de droit et ne pas développer un sentiment d’arbitraire. Le principe essentiel n’est pas la légitimité de l’intervention, c’est le caractère équitable de traitement des différents investisseurs, la proportionnalité des mesures prises par le gouvernement et la nature transparente de la procédure. Un État n’est pas un ringard s’il intervient dans ce type de procédures.


Décideurs. Protectionnisme ou patriotisme économique ?

É. C. Le patriotisme économique est plus un discours qu’une véritable stratégie. C’est un moyen de répondre par la parole aux craintes et frayeurs du public. Actuellement, les Français se rendent compte qu’il y a une accélération du mouvement de désindustrialisation du pays. Ils sont inquiets. Le gouvernement doit répondre. D’où les éruptions périodiques de patriotisme économique. Cela est indispensable car le peuple français est celui qui est le plus attaché à ses entreprises nationales. Ce sont des restes du colbertisme et du gaullisme.

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