Ambitieux, Thierry Le Hénaff n’en est pas moins sentimental : il vient de racheter Bostik dont il a fait partie pendant douze ans. À la tête du numéro un de la chimie française, ce polytechnicien nous ouvre les portes de sa « start-up ».
Décideurs. Vous avez porté Arkema depuis sa constitution. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience et qu'auriez-vous fait différemment avec le recul ?

Thierry Le Hénaff. Je retiens que la volonté prime toujours. Surtout dans le contexte de scepticisme qui entourait notre sortie au moment du spin-off de Total. La chimie française avait des difficultés, nos résultats à l’époque et notre portefeuille d’activités ne séduisaient pas grand monde. L’acquisition de Bostik, que nous venons de réaliser, est pourtant la preuve que beaucoup de choses étaient possibles. Il a fallu pour cela mener au début des restructurations, puis miser sur l’innovation et aller chercher la croissance à l’international. 90 % de notre chiffre d’affaires est aujourd’hui réalisé en dehors de France. La chimie est un environnement complexe, avec de belles opportunités, mais aussi de vrais défis à relever. Alors on peut toujours faire les choses différemment, mais avec le recul je prendrais le tout. Nous avons bien plus de victoires que d’échecs et aujourd’hui Arkema est une belle réussite.

Décideurs. Vous êtes à la tête d’une start-up ?

T. Le H. Sommes-nous si différents d’entrepreneurs comme Xavier Niel ? La culture, le nom, la stratégie… Nous sommes partis de zéro dans ce projet avec l’ambition de devenir un grand groupe. Le rôle du management a été d’être ambitieux, d’entraîner autour d’une vision industrielle long terme et de s’appuyer sur les hommes et les femmes d’Arkema sans qui le projet aurait été voué à l’échec.

Décideurs. Comment l'innovation participe-t-elle de la stratégie du groupe?

T. Le H. Le directeur de la R&D est le coordinateur de l’innovation chez Arkema, et il me rapporte directement. Nous avons une innovation avec une double approche : 85 % des budgets sont investis dans les business units, et 15 % pour la R&D corporate sur des projets de rupture à long terme. Le directeur de la R&D gère en direct ces projets de long terme (dix à quinze ans), qui sont présentés et validés en comité exécutif. À titre d’exemple, nous travaillons sur le PEKK, un polymère « ultime », quasi-métal, grâce à l’acquisition d’une start-up qui disposait d’une technologie importante dans ce domaine.

Les innovations qui requièrent des développements plus courts (un à cinq ans) partent majoritairement de la demande de nos clients. Christian Collette (directeur de la R&D, ndlr) crée une passerelle entre les business units du groupe et les marchés donnés. Un bon exemple est le développement des matériaux toujours plus légers pour nos clients de l’aéronautique et de l’automobile.

Décideurs. Quelle différence y a-t-il entre la chimie d’aujourd’hui et celle des années 1990 à laquelle vous faisiez référence ?

T. Le H. Souvent mal perçue dans les années 1990, la chimie d’aujourd’hui a retrouvé ses lettres de noblesse. Elle participe à la modernité du monde, contribue au développement durable et ne finit pas de nous surprendre avec des possibilités d’innovation toujours plus grandes. Nous travaillons par exemple sur des caoutchoucs autocicatrisants, ou sur des films plastiques à base de fluor dont les qualités sensorielles contribuent à concevoir des objets intelligents comme un clavier souple tactile. Si l’impression 3D permet des prouesses, la chimie n’y est pas pour rien…

Décideurs. La France est-elle une terre propice à l’innovation dans votre secteur ? Quelle serait la première mesure à adopter pour l’innovation si l'on vous confiait le pouvoir ?

T. Le H. Il faut être juste, la France soutient l’innovation avec des mesures comme le crédit d’impôt recherche (CIR) qui sont essentielles à l’innovation aujourd’hui. Elle dispose aussi de talents considérables avec des ingénieurs de très hauts niveaux. Mais il y a un retard sur l’industrialisation de la R&D. La première mesure concernerait cette problématique indispensable à mes yeux. Il est nécessaire de créer un lien entre l’innovation et l’industrialisation avec un crédit à l’industrialisation. C’est le soutien qui manque, la deuxième composante qui suit le processus complet de l’innovation.

Décideurs. Vous êtes passionné de voile. Quels sont les effets concrets de l’implication d’Arkema dans les compétitions internationales ?

T. Le H. Ce bateau est d’abord une vraie mobilisation au sein de l’entreprise, les équipes ressentent une véritable fierté à participer à ce projet très concret. Le trimaran représente une belle vitrine de notre savoir-faire, de nombreux matériaux dont nous sommes à l’origine sont utilisés pour le construire. Pour l’anecdote, le voilier s’est retourné lors de la transat Jacques Vabre 2013 : toutes les fixations vissées ont sauté, sauf nos colles, qui ont tenu.



Propos recueillis par Pierre-Henri Kuhn et Jennifer Lormier

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