Par Franck Singer, avocat. Singer Avocats
La Loi Doubin fait l’objet de nombreuses polémiques judiciaires. Si son objectif premier est de permettre la nécessaire information du franchisé et son engagement en toute connaissance de cause, elle est encore source de trop nombreuses difficultés dans son application pratique et sur un plan jurisprudentiel. Constat à date et nouvelles perspectives.

Législateur, juges, commentateurs avisés : tous rappellent l’indispensable échange d’informations préalable à l’adhésion, mais principalement sous un seul angle : celui de la sanction. Sur un plan pratique, le délicat positionnement des juridictions, compte tenu des imperfections du texte initial, conduit progressivement à une situation radicalement opposée à l’objectif recherché. Les relations franchiseur/franchisé sont désormais figées, dès l’origine.

DIP : document d’information précontractuel ou de précontentieux ?
L’on finit par s’interroger. Dans bon nombre de cas en effet, le DIP est, ni plus ni moins, un document que l’on classe, et que l’on oublie si tout va bien. Mais on le ressort, en tant que pièce fondamentale censée probante, en cas de difficultés économiques et de contentieux consécutifs. La raison tient aux manifestes lacunes et difficultés d’interprétation de la loi et des aléas de son application jurisprudentielle.
Premier exemple : les critères distinguant «présentation» du marché local et «étude» du marché local ne sont absolument pas définis. L’article L 330-3 du Code de commerce et son décret d’application imposent au franchiseur une présentation de l’état général et local du marché dans le cadre du DIP, une telle information ne devant pas se borner à des informations indigentes, très générales et imprécises. (voir notamment Cass. Com. 6 mai 2003). Pour autant, selon une jurisprudence établie, une étude précise du marché local en vue de l’implantation d’un établissement n’est pas exigée du franchiseur (Cass. Com, 11 février 2003). Dans les faits cette étude incombe donc au franchisé. Mais force est de constater qu’aucun texte législatif ne définit les critères différenciant « état » du marché local et « étude » du marché local.
Autre exemple : la communication de chiffres prévisionnels est une arme à double tranchant. Le franchiseur n’est pas devin, le franchisé non plus. Conscients de la nécessaire et légitime information devant être diffusée à leurs futurs franchisés, de nombreux franchiseurs ont pris l’initiative de communiquer des chiffres d’exploitations prévisionnels alors qu’une telle communication n’est pas obligatoire légalement. Mais, dans un tel cas, la Cour de Cassation rappelle que la responsabilité du franchiseur peut être engagée, celui-ci étant tenu à une obligation de présentation sincère (Cass. Com, 19 janvier 2010). L’obligation pesant sur le franchiseur est ici une obligation de moyen. La jurisprudence reconnaît l’évidente incertitude attachée à toute projection économique. Les Tribunaux rappellent en effet que la décision prise par le franchisé s’effectue à ses risques et périls, particulièrement en cas de totale liberté dans le choix de ses fournisseurs, et de ses achats consécutifs. Une sanction du franchiseur peut néanmoins intervenir, en cas d’erreur substantielle (Cass. Com, 4 octobre 2011, 12 juin 2012). Franchisé et franchiseur peuvent donc, au vu de la jurisprudence précitée, exploiter chacun des moyens juridiques pertinents, mais sans aucune certitude. Or, le doute est toujours source de défiance.

Un climat de défiance juridiquement institutionnalisé
Résumons l’actuelle situation juridique : comment franchiseur et franchisé doivent-ils se préserver, confrontés à de trop nombreuses incertitudes ? La question est régulièrement et « malheureusement » posée à tout avocat spécialisé. « Malheureusement », car il s’agit dans la plupart des cas de la seule interrogation concernant l’adhésion à un réseau. D’un côté le franchiseur, s’il ne peut se contenter d’informations trop vagues et imprécises, ne doit pas pour autant trop informer, au risque de se faire pénaliser en cas d’échec économique du franchisé. De l’autre, le franchisé peut engager la responsabilité du franchiseur au titre d’informations incomplètes ou erronées de manière substantielle. Toutefois, il lui appartient d’établir une étude du marché local, faute de quoi une telle abstention pourrait lui être reprochée. Parallèlement, des candidats franchisés, dont le projet d’adhésion est refusé, menacent de procédure, sur le fondement d’une rupture abusive de pourparlers contractuels. La situation est donc pour le moins complexe. Nous voici désormais dans un climat de défiance juridique institutionnalisée, très éloigné de la transparence prônée par la Loi Doubin, qui affecte la notion pourtant essentielle de partage, et ce, dès l’origine des relations contractuelles.

La charte d’adhésion, une formalisation de l’échange
Rassurons-nous tout d’abord, le commerce associé a de très beaux jours devant lui. Son incontestable succès tient dans la formule suivante : « réussir, c’est
partager ». La franchise est le socle de cette communauté d’intérêts. L’ambition est conjointe, réussite professionnelle pour le franchisé, développement et notoriété pour le franchiseur. Il est donc essentiel que dès l’origine des relations, un véritable échange s’instaure, sans méfiance ni réserve. Pour y parvenir, la mise en place d’une charte d’adhésion est un moyen efficace. Il faut en effet s’orienter vers un partage de responsabilités, tout en sécurisant le plus possible l’investissement. Ainsi, la charte d’adhésion peut utilement fixer la chronologie de toute entrée dans un réseau et définir très concrètement le rôle de chacun des partenaires :
- À la réception du DIP : questions/réponses entre franchisé et franchiseur, aux fins de lever toute ambiguïté ou difficulté d’interprétation (état du marché, typologie du point de vente, zone de chalandise, exclusivité territoriale…).
- Réalisation d’une étude du marché local, et définition conjointe des critères (exemple : marché primaire/secondaire).
- Établissement d’un budget prévisionnel avec intervention respective des services financiers du franchiseur, et des conseils du franchisé (expert-comptable notamment).
- Validation commune du budget prévisionnel.
- Réunion formelle entre franchiseur et franchisé, aux fins d’examiner avec précision la spécificité du dossier, chaque adhésion constituant un cas particulier.
- Décision définitive et conjointe d’adhésion ou non.

Nul doute que la conclusion d’une telle charte d’adhésion peut sensiblement réduire le risque de futur contentieux, en instaurant un juste équilibre entre nécessaire information et partage de responsabilités. Conclure un contrat de Franchise est une décision conjointe, et non imposée, une décision « partagée ».

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