Si le pays renoue doucement avec la croissance, le chômage, lui, continue d’augmenter. Comment expliquer ce paradoxe ?
De la croissance, enfin ! Au premier trimestre 2015, le PIB français enregistre une hausse de 0,6 % selon les derniers chiffres de l’Insee. Après une année 2014 bien terne, l’économie nationale bénéficie donc d’un sursaut. Une bouffée d’oxygène pour Bercy qui espère transformer l’essai et table sur une croissance globale comprise entre 1,2 % et 1,3 % en 2015. Selon une note interne du ministère des Finances révélée par le Journal du dimanche, « les indicateurs de la conjoncture restent au vert […] hormis l’emploi ». C’est là que le bât blesse. La reprise économique, légère, soit, ne permet pas d’enrayer la spirale du chômage. Une apparente contradiction qui s’explique par quatre facteurs.

Une croissance trop faible par rapport à la hausse de la productivité

L’accroissement du PIB n’est pas forcément synonyme de reprise de l’embauche. Tout est une question de taux. « Si nous voulons créer des emplois, il faut plus que 1 % de croissance », reconnaît le président de la République. Plus précisément, Jean-François Ouvrard, directeur des études chez COE-Rexecode, estime que le taux de croissance minimum pour faire baisser le chômage dans l’Hexagone se situe à 1,5 %. La timide reprise de la croissance du début de l’année n’est donc pas en elle-même suffisante pour « inverser la courbe du chômage », vœu cher au gouvernement et au Président. En effet, la hausse de la productivité horaire des Français, aussi louable soit-elle, n’incite pas à l’embauche à court terme. Les effets bénéfiques de ce début de reprise sur l’emploi ne seront visibles qu’à moyen terme, le temps pour les entreprises de croître, avant de se lancer dans une politique d’embauches.

Des projets industriels de faible ampleur

Les investissements étrangers retrouvent le chemin de la France. Le Baromètre de l’attractivité de la France 2015 publié par EY fait état de 608 décisions d’investissement direct étranger en France en 2014. Le pays occupe la troisième place du podium européen en la matière, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne (qui ont bénéficié respectivement de 887 et 763 investissements). Le site France attire donc 18 % d’investissements en plus qu’en 2013. Une bonne nouvelle en trompe-l’œil car l’attractivité ne se répercute pas sur l’emploi. Les créations d’emplois induites par ces investissements ont en effet baissé de 11 % par rapport à 2013. À titre de comparaison, ce sont plus de 3 400 emplois qui ont été créés au Royaume-Uni, soit une hausse de 12 % des emplois créés par les investissements étrangers.

Pourquoi un tel blocage ? L’analyse des secteurs bénéficiaires des investissements étrangers en France fournit une première réponse. Le numérique, les services aux entreprises et l’industrie captent l’essentiel des fonds étrangers. Or, « si l’investissement industriel affiche un certain dynamisme, il est plus le fait d’extensions de petite taille que d’implantations nouvelles », analyse dans le baromètre Jean-Pierre Letartre, président d’EY en France. En 2014, la France a attiré 282 millions d’euros d’investissements dans des activités de production et de logistique. Cependant, les projets relatifs aux sites de production sont constitués à 80 % d’extensions d’unités existantes. Les investisseurs restent prudents et se contentent d’ajuster les infrastructures existantes pour gagner en productivité. Conséquence : les projets industriels sont de faible ampleur et ne créent en moyenne que vingt-cinq emplois (contre trente-neuf en Allemagne et soixante-et-onze au Royaume-Uni).

Un coût du travail trop élevé

L’environnement social et fiscal français constitue un frein à la reprise de l’emploi. Les conclusions de l’étude économique de l’OCDE consacrée à la France et publiée en mars 2015 sont sans appel : « Le défi le plus important est de réformer le marché du travail afin de promouvoir la création d’emplois. » La rigidité du droit social et le coût du travail en découragent plus d’un : 44 % des décideurs étrangers consultés par EY estiment que l’allègement du coût du travail doit être la priorité. Le pays semble sur la bonne voie puisque la mise en œuvre du CICE a entraîné une baisse de 6 % du coût horaire du travail dans l’industrie.

La complexité administrative et fiscale

La fiscalité nationale demeure l’une des principales pierres d’achoppement. Les allègements de cotisations sociales patronales prévues par le pacte de responsabilité vont dans le bon sens mais ne suffisent pas. « L’érosion de l’attractivité de certains pans de la fiscalité française (crédit impôt recherche, fiscalité des brevets) entraînent un départ des fonctions clés vers d’autres localisations », regrette Jean-Pierre Lieb, associé chez EY Société d’Avocats. Sans parler du taux maximal d’impôt sur les sociétés à 36,1 %, l’un des plus lourds de l’Union européenne - il n’est que de 29,8 % en Allemagne ou de 23 % outre-Manche.

« La France doit sortir une bonne fois pour toutes de la complexité administrative, fiscale ou sociale qui la caractérise », tance René Ricol, président fondateur de Ricol Lasteyrie. Clarté et permanence doivent enfin prévaloir dans le paysage réglementaire français pour rassurer les investisseurs et, à terme, favoriser la création d’emplois. Autant de pistes dont pourrait s’inspirer la loi Rebsamen sur le dialogue social, conçue notamment pour faciliter et simplifier les démarches des entreprises.

S. V.

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