Qui dit nouveau départ dit nouvelle identité ? Longuement préparé en interne, ce choix risqué se révèle très onéreux.
GDF Suez est mort, vive Engie ! Lancé en grande pompe le 24 avril par son P-DG, Gérard Mestrallet, le nouveau nom du géant français est la partie émergée de l’iceberg : ce changement matérialise le virage stratégique du spécialiste de l’énergie. Mais il loin d’être le premier à se rebaptiser. Au cours des dix dernières années, les exemples sont légion : Thomson et Framatome sont par exemple respectivement devenus Technicolor et Areva.

Comment expliquer ce besoin de se refaire une virginité patronymique ? « Les motifs sont très nombreux », reconnaît Rodolphe Grisey, fondateur et associé de l’agence Demoniak spécialisée en naming, autrement dit en création de nom. Le premier est bien sûr celui de la fusion. « Le changement de nom peut également traduire un nouveau positionnement voire un changement de métier de l’entreprise », poursuit l’expert. En devenant Danone en 1994, BSN abandonnait sa spécialité historique de fabricant de verre pour se consacrer à l’agroalimentaire. L'usure peut elle aussi être un facteur. « Il est souvent nécessaire de dépoussiérer une image écornée ou vieillotte », analyse M. Grisey. Enfin, les difficultés financières ou les affaires judiciaires poussent logiquement les sociétés qui en sont victimes à se rebaptiser. La transformation du Crédit lyonnais en LCL est un cas d’école, « même si le succès de l’opération reste relatif », tempère le fondateur de Demoniak. Plus récemment, c’est La Lauragaise qui a ressuscité des cendres de Spanghero, tristement célèbre pour son implication dans le scandale de la viande de cheval.

Opération séduction


Le changement de nom est une décision risquée. « La plus grande valeur d’une marque ce sont ses racines. Or, changer de nom c’est couper court au passé », met en garde Jacques Séguéla. Les premiers à convaincre du bien-fondé d’un changement sont donc ceux qui incarnent l’entreprise : ses salariés. Premier ambassadeur et premier client potentiel du groupe, le personnel doit être associé à l’élaboration du nouveau patronyme. Cette consultation, qui peut prendre des formes diverses (boîte à idées, sondage, débat…), est essentielle au succès de la transformation du groupe. Étape coûteuse en temps et en argent, elle est indispensable sous peine de créer un blocage de mauvais augure. « Le personnel doit se reconnaître dans l’image de l’entreprise et donc dans son nom afin de pouvoir expliquer et justifier la nouvelle dénomination au public », décode Rodolphe Grisey. Le raisonnement est transposable en politique. Pour M. Séguéla, « le projet de Nicolas Sarkozy de rebaptiser l’UMP ne se fera pas sans l’adhésion préalable des sympathisants ». Les annonces de l’ancien président de la République lui donnent raison.

« Entre un et cinq millions de dollars »

S’offrir une seconde jeunesse a un prix. Les changements de nom occasionnent des dépenses en cascade dont l’ampleur varie fortement selon la nature nationale ou mondiale de l’entreprise. De fait, certains bottent en touche. « Pour éviter des coûts trop élevés, de nombreuses marques disparaissent au profit d’autres déjà établies », remarque Rodolphe Grisey. Et de citer en exemple la transformation de Philips en Whirlpool.

Pour ceux qui sautent le pas, la recherche de nouveaux nom, logo et charte graphique est le premier poste de dépense. Bien souvent, la tâche est confiée à une agence spécialisée. « Pour un groupe mondial, il faudra compter entre un et cinq millions de dollars », estime Jacques Séguéla. Sans oublier les dépenses juridiques afférentes (recherche d’antériorité, protection, droits d’enregistrement notamment) qui se chiffrent au bas mot en centaines de milliers d’euros pour les firmes internationales.

Le plus gros des frais se répartit entre le financement de la campagne de communication nécessaire au lancement du nom et le rhabillage de l’ensemble du groupe. Concernant la publicité, « la question n’est pas de savoir combien investir mais combien on peut investir », prévient Rodolphe Brisey. Quant au nouveau facing de l’entreprise (papeterie, enseignes, véhicules, buildings, boutiques…), les prix s’envolent vite. « Le changement de couleur de la marque Pepsi Cola du rouge au bleu a coûté plusieurs dizaines de millions de dollars », rappelle M. Séguéla. Au total, l’addition est vite très salée. En 2007, la transformation de France Télécom en Orange a été évaluée à 200 millions d’euros.

Dans le doute, s’abstenir

Les cas de changement de nom ratés sont assez rares. Les études internes sur l’impact de la transformation constituent des garde-fous efficaces mais pas infaillibles. Outre-Manche, après leur privatisation, les services postaux britanniques se rebaptisent Consignia au début des années 2000. Un an plus tard, l’entreprise fait marche arrière et reprend son nom historique : Royal Mail. « Personne ne se retrouvait dans le nouveau nom qui ne reflétait pas le côté rassurant de l’institution nationale », décrypte Rodolphe Grisey. Coût du cafouillage ? « Environ trois millions d’euros en incluant les restructurations et l’élargissement des activités de l’entreprise », estime le spécialiste. Récemment, c’est l’Inseec qui, après avoir renommé son programme grande école Insignis, fait volte-face sous la pression des étudiants et anciens élèves à qui l’intitulé n’évoque rien. « Changer de nom est une décision terrible », conclut Jacques Séguéla. Il faut savoir expliquer la raison d’être de la nouvelle marque aux clients et aux consommateurs : les rassurer. Un vrai travail de storytelling et de pédagogie. « Tout ce qui n’a pas été fait dans le cadre de l’annonce du changement de nom à l’UMP », déplore M. Séguéla.

S. V.

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