P-DG de Krug depuis 2009, Maggie Henriquez a su redonner un nouveau souffle à cette maison de champagne. Lors d’une conférence organisée par HEC au Féminin et Sciences Po Alumni le 7 juillet dernier, elle est revenue sur les grandes étapes de sa carrière, à laquelle elle a toujours refusé de sacrifier sa vie personnelle.
C’est dans une salle à l’ambiance feutrée du cabinet Baker & McKenzie que se déroule cette troisième partie du cycle de conférences « Women Leaders Confidence ». Arrivée avant son public, Maggie Henriquez discute joyeusement avec une représentante de l’association HEC au Féminin, accompagnée par la musique de la nouvelle application mobile de Krug. À l’aise, elle esquisse de grands sourires aux invitées qui arrivent. D’ailleurs Maggie Henriquez est l’hôtesse ce soir : c’est elle qui apporte le champagne. À l’écouter retracer son parcours, on discerne même quelques signes de fragilité sous la carapace endurcie de cette femme rompue aux affaires. Ce sont vingt-six années dans le monde du vin qui ont forgé le caractère de celle qui clame haut et fort qu’il « faut toujours être aligné avec ses valeurs ».

Maggie Henriquez, la femme qui tombe à pic

Dès son enfance, passée au Venezuela dont elle est originaire, elle est plongée dans le monde viticole. Son père travaille dans une entreprise qu’elle rejoint après l’obtention de son diplôme d’ingénieure. Elle s’occupe alors des systèmes informatiques avant de rallier en 1986 le département marketing des vins et spiritueux. Cinq ans plus tard, Maggie Henriquez prend la tête de la filiale vénézuélienne du groupe canadien Seagram, racheté en 2000 par le Français Pernod Ricard. Mais c’est en 1995 que la carrière de la présidente de Krug prend un virage.

« Je suis arrivée au Mexique et c’était une horreur » se souvient celle qui prenait tout juste les rênes de Nabisco, un producteur mexicain de biscuits. Entre dévaluation et inflation, l’économie nationale est dévastée. « Nabisco perdait vingt-cinq millions de dollars par an », raconte-t-elle. Mais la businesswoman ne se laisse pas impressionner. Dans une entreprise dominée par la gent masculine, elle impose son style. Au menu ? Recréer un lien fort avec la clientèle. Elle réduit le packaging, augmente la qualité des produits, change le message de la marque. C’est un succès. « On a transformé l’industrie en étant l’outsider », se félicite-t-elle vingt ans plus tard.

Son exploit ne passe pas inaperçu : Moët Hennessy l’engage en 2001 pour diriger sa filiale argentine Bodegas. Elle prépare la société au krach sur le point d’éclater. Et la magie opère à nouveau. Son secret : créer une différenciation. Maggie Henriquez réinvente l’image des marques premium avec conviction. Une stratégie dont bénéficient les employés : « Je n’ai jamais viré personne en temps de crise », assure-t-elle.

« Toute crise est source d’opportunités, il faut simplement savoir où les trouver »

Après l’Argentine, sa réputation est faite. Moët Hennessy l’invite à Reims pour prendre la tête de la maison de champagne Krug. Avide de nouveaux défis, Maggie Henriquez accepte. Elle arrive au moment où toute l’industrie subit la récession de 2008 : la consommation domestique s’est effondrée de 18 %. Alors que 40 % de la production française est vendue à l’étranger, les exportations ont aussi souffert. Forte de son expérience, la nouvelle P-DG est confiante : elle applique sa méthode à cette entreprise dont les ventes avaient dégringolé de 42 % en volume durant l’année 2008. Résultat en 2009 : les recettes baissent de 32 %. Elle reçoit un « D » à l’évaluation interne. Pour Maggie Henriquez, « c’est une douche d’humilité ».

Aujourd’hui, elle affirme qu’elle « n’avait aucun socle pour bâtir sa stratégie ». Lors d’un séminaire de formation, elle comprend son erreur : Krug est une marque de luxe, non un produit premium. Elle corrige le tir et s’imprègne des codes de cette industrie. Au terme de deux ans de recherches, elle décèle que la philosophie de Krug s’est effacée. « Le luxe n’est ni une question de tradition, ni une question de modernité : on partage une vision avec nos clients », martèle celle qui a fait repartir les ventes à la hausse en innovant et en s’appuyant les origines de la marque.

À l’instar de Krug, la vitiviniculture française se remet graduellement du marasme économique de 2008. « Toute crise est source d’opportunités, il faut simplement savoir où les trouver », rappelle la présidente. Fin 2014, la France est redevenue le premier producteur de vin de la planète avec 46,2 millions d’hectolitres produits. François Hollande a d’ailleurs souligné ce succès en inaugurant le salon Vinexpo le 14 juin dernier. Une première pour un président de la République depuis la création de l’évènement en 1981. Et si l’heure semble à la fête, l’appellation champagne a subi une légère érosion. En 2014, les ventes ont reculé de 0,5 % face à la concurrence étrangère, en progression de 15 % en volume.

Les leçons d’une passionnée

Ses principes, la femme d’affaires hispanique les a aussi extraits de sa vie personnelle. Questionnée sur les inégalités hommes/femmes au travail, elle répond qu’au Venezuela et au Mexique, elle s’est toujours sentie à sa place. Depuis qu’elle est en France, c’est une toute autre histoire : « Ici, j’ai trouvé le machisme, le vrai, s’exclame Maggie Henriquez. C’est structurel et nourri par l’idée selon laquelle les femmes sont davantage influencées par leurs émotions que les hommes. » En patronne avertie, Maggie Henriquez essaie grâce à son expérience de faire évoluer les mentalités. Pour elle : « Il faut toujours croire en ce que l’on fait : si on n’y croit pas, on n’y arrive pas ».

La présidente de Krug n’a rien sacrifié à son activité professionnelle : elle a eu deux enfants et s’est remariée récemment. Pour elle, concilier famille et travail est « le prix de sa liberté ». Elle exhorte les femmes à trouver cet équilibre jugeant que « la famille est le laboratoire du management ».

Sophia Sanni Soulé

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