Très concerné par la vie politique française, il est l’un des symboles d’une génération d’économistes français au rayonnement international.
La voix claire. Le ton maîtrisé. Le discours précis. Emmanuel Farhi fait partie de cette caste d’intellectuels qui dégage une assurance naturelle. Le professeur d’économie à l’Université d’Harvard n’en reste pas moins abordable, répondant à toutes les questions avec intérêt. Plus qu’un expert en macroéconomie, le lauréat 2013 du Prix du meilleur jeune économiste (Le Cercle des économistes / Le Monde) est passionné par cette matière qu’il a découvert alors qu’il n’était encore qu’ « étudiant à l’École normale supérieure ». L’homme qui l’a initié, conseillé et recommandé est un ponte de l’économie en France : Daniel Cohen. Alors enseignant rue d’Ulm, il dispense un cours d’introduction à l’économie. Le jeune Emmanuel Farhi se présente pour y « découvrir la matière », nous confie-t-il. Il franchira alors une porte qu’il n’a jamais refermée. Adieu les mathématiques, bienvenue les sciences économiques !

Tout s’enchaîne ensuite très vite : départ pour les États-Unis, soutenance de thèse au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et arrivée sur le job-market de l’enseignement nord-américain. À ce propos, le chercheur ne tarit pas d’éloges sur le milieu universitaire outre-Atlantique. « L’échange est roi, les discussions sont très ouvertes et les étudiants pris très au sérieux », estime le jeune homme de 35 ans, avant d’affirmer que « les États-Unis ont vraiment réussi un truc sur ce point-là ». Séduit, Emmanuel Farhi l'est, à tel point qu'il reste sur place. Il faut dire que Harvard lui a présenté « une offre qui ne se refusait pas » après la fin de sa thèse. S’il considère que sa carrière pourrait tout à fait se poursuivre en France mais « pas dans l’immédiat », l’économiste est ravi d’évoluer dans un environnement composé de « collègues tous plus investis les uns que les autres et d’étudiants passionnés en provenance du monde entier ». Aujourd’hui auréolé d’une nouvelle distinction par sa mention dans la liste des vingt-cinq jeunes économistes les plus influents au monde selon le FMI, bien devin est celui qui sait où Emmanuel Farhi s’arrêtera…

Prise de risque intellectuelle

Le professeur ne passe pas son temps à rêver d’un Nobel qui selon lui « entraîne une compétition qui peut parfois prendre une tournure un peu infantile ». Pour autant, il n’est pas indifférent aux prix et récompenses qui « donnent de la visibilité aux travaux de recherche, étant entendu que les bonnes idées sont faites pour être communiquées et si possible, acceptées ».

Concernant ses sujets d’étude, Emmanuel Farhi se concentre sur les problématiques liées à la stabilisation macroéconomique. Ayant commencé sa carrière au moment de la crise financière systémique de 2008, il a naturellement été porté par « ce réveil salutaire nécessitant une redéfinition des paradigmes économiques et notamment à l’aune des politiques d’intervention ». Il reconnaît, non sans regrets, que la période qui a suivi la crise a été « autant porteuse de désespoir pour les gens qui l’ont endurée que de stimuli intellectuels pour les économistes qui l’ont analysée ». Il dit n’appartenir à aucun courant établi et met au contraire en avant « la prise de risque intellectuelle ». Il professe entre autres, pour l’Europe, l’assouplissement de la politique monétaire de la BCE, et pour les pays pris individuellement, un recours aux dévaluations fiscales afin de gagner en souplesse monétaire selon leurs besoins respectifs.

Sa France

Si l’économiste n’oublie pas de rappeler ses illustres prédécesseurs que sont Keynes, Samuelson ou Modigliani, l’homme n’oublie pas non plus sa terre d’origine, la France. Il considère d’ailleurs que le pays rencontrerait un vrai problème « si les expatriés se désintéressaient de la cause nationale une fois partis ». Par conséquent, il suit en permanence le débat national et plus encore, il agit pour l’Hexagone. Jusqu’à récemment, Emmanuel Farhi faisait partie du Conseil d’analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre. Coauteur de deux rapports pour l’entité, il n’est plus membre du CAE aujourd’hui puisque l’organisme a décidé de « s’appuyer exclusivement sur des personnes basées en France afin de gagner en réactivité ». Mesure qu’il juge légitime par ailleurs.

Toujours au fait de l’actualité tricolore, l’économiste souhaite que la France « pèse plus encore sur les choix de l’Union européenne ». Interrogé sur d’éventuels contacts avec les instances politiques pour un poste à responsabilité, l’intéressé répond par la négative. Selon lui, « les allers-retours entre le monde académique et le monde du policy making sont monnaie courante aux États-Unis alors que cela se fait moins en France ». Emmanuel Farhi ne semble pourtant pas opposé à ce genre de propositions, lui qui estime que « l’économie n’est pas une entreprise esthétique mais une science concrète, éclairant les choix auxquels nos sociétés sont confrontées et leurs répercussions sur le monde ».

Firmin Sylla

Crédits photo : Charlie Mahoney

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