Marc-André Feffer (Transparency International France) : « On ne peut pas se satisfaire du classement actuel de la France »
Décideurs. TIF a publié son guide pratique pour aider les entreprises à répondre aux nouvelles obligations anticorruption de la loi Sapin 2. Quelles sont, selon vous, les points positifs de cette nouvelle réglementation ?
Marc-André Feffer. La loi Sapin 2 apporte une approche systématique à des mesures de lutte contre la corruption qui existaient déjà dans certaines entreprises et une culture d’intégrité. Les sociétés qui participent à notre Forum des entreprises engagées se sont déjà dotées d’un certain nombre d’outils en matière de contrôle, de formation et de gestion des risques. Le nouveau texte oblige à avoir une démarche globale qui permet d’accroître l’efficacité des mesures prises jusqu’à présent. La loi Sapin 2 ne vise pas seulement à sanctionner les entreprises, mais à les faire progresser. C’est notamment ce qui distingue la France des pays anglo-saxons qui ont une législation anticorruption essentiellement répressive. Un autre point positif de la nouvelle législation repose sur la mise en place de l’Agence française anticorruption (AFA), à la fois organe de contrôle et de conseil, même si l’exercice concomitant des deux fonctions n’est sans doute pas chose aisée.
Quelles en sont ses limites ?
Le champ d’application restreint du dispositif anticorruption est pour moi la limite la plus importante de la loi Sapin 2. Pourquoi se limite-t-il aux entreprises et ne s’étend-il pas, par exemple, aux grandes collectivités territoriales et aux fédérations sportives ? Quoi qu’il en soit, il faut maintenant s’attacher à la mise en œuvre du dispositif législatif. D’où l’importance de l’AFA qui effectue des contrôles mais incite également les dirigeants d’entreprise à améliorer leurs programmes internes au travers de recommandations ainsi que la nécessité d’une démarche proactive de la part des sociétés elles-mêmes. Elles se voient imposer des obligations importantes. Mais si ces dernières sont prises seulement comme une contrainte dont il faut s’acquitter au plus vite, cela ne peut pas fonctionner correctement. Il est donc essentiel qu’au sein même des entreprises les responsables des programmes de conformité en fassent comprendre le sens profond aux collaborateurs pour que ces derniers acceptent la charge de travail liée à leur mise en place.
Comment accompagnez-vous les entreprises sur le chemin de la transparence et de l’anticorruption ?
Pour qu’une entreprise devienne membre du Forum des entreprises engagées de Transparency International, elle doit respecter plusieurs obligations. Elle souscrit tout d’abord à une charte par laquelle elle affirme sa volonté de promouvoir les standards d’intégrité et de probité interne. Nous organisons ensuite tous les dix-huit mois avec elle une réunion, non pas de contrôle, mais de discussion sur les actions qu’elle mène en interne afin de mesurer les progrès accomplis. Si une société membre se trouve confrontée en interne à un problème de corruption ou lorsqu’un grave risque apparaît, nous ouvrons une procédure contradictoire pour comprendre la situation et nous assurer que les bonnes mesures ont été prises. Si ces dernières ne sont pas satisfaisantes, nous pouvons suspendre l’entreprise, voire l’exclure de l’organisation. Devenir membre a donc des avantages – participer aux travaux de Transparency International, discuter et travailler avec les autres sociétés membres – mais impose également des devoirs, dont celui de s’engager à toujours progresser en matière d’intégrité.
« Être au courant le plus tôt et le plus en amont possible de situations impactant la notoriété et les affaires de l’entreprise »
Quels sont les grands défis de demain en matière de transparence et d’anticorruption ?
Ce sont des combats permanents et les différentes lois récentes ont créé des autorités chargées de répondre à ces enjeux. Il est donc essentiel de leur donner les moyens nécessaires au bon exercice de leurs missions. Je pense notamment aux moyens du parquet national financier (PNF) et de la Haute autorité de la transparence de la vie publique qui a des obligations importantes en matière de création de registres et de gestion des déclarations, ainsi qu’à ceux de l’AFA. La justice pénale est aujourd’hui très lente car elle n’a pas encore les moyens nécessaires pour accélérer le nombre de procès. Du point de vue de l’exemplarité de la perception de la lutte contre la corruption, la France a encore des progrès à faire. Un autre défi essentiel concerne l’indépendance des magistrats du Parquet, une exigence rappelée par la Cour européenne des droits de l’Homme. François Hollande avait déjà tenté sous son quinquennat de faire passer une réforme constitutionnelle pour mettre en place un système de nomination des magistrats du parquet avec avis conforme du conseil supérieur de la magistrature. Emmanuel Macron s’est engagé, lorsqu’il était candidat, lui aussi à porter cette indispensable réforme, et des travaux sont en cours au ministère de la Justice. Nous serons très vigilants sur la mise en œuvre de cette réforme.
« La justice pénale est aujourd’hui très lente car elle n’a pas encore les moyens nécessaires pour accélérer le nombre de procès »
La protection renforcée du lanceur d’alerte va-t-elle encourager les salariés à utiliser davantage le système d’alerte éthique des entreprises ?
Je l’espère bien ! Le Parlement a reconnu avec Sapin 2 l’importance du système d’alerte éthique. Cet outil a un intérêt pour les entreprises : être au courant le plus tôt et le plus en amont possible de situations qui peuvent impacter l’intégrité mais aussi la notoriété, le climat social et les affaires de la société. Concernant la protection du lanceur d’alerte, la mise en place d’un statut du lanceur d’alerte et de protections sérieuses constitue un élément fondamental. La démarche du lanceur d’alerte est courageuse et les textes le reconnaissent : certaines personnes se mettent en risque dans l’intérêt général et il faut donc les protéger.
La France se classe 23e sur 176 du classement 2016 concernant la perception de la corruption dans le monde. Comment peut-elle espérer progresser ?
On constate dans les dix premiers du classement 2016 la présence de plusieurs grandes démocratiques, européennes ou non. Le souhait de Transparency est bien sûr que la France, 27e en 2014 et 23e en 2016, progresse encore car on ne peut pas se satisfaire de son rang actuel. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un indice de perception : l’effet sur le classement intervient donc avec retard. Il dépend de la mise en œuvre effective d’outils et d’institutions, des moyens donnés aux autorités, ainsi que des résultats obtenus. La moralisation de la vie politique, le fait que les procès aboutissent et que des conventions judiciaires d’intérêt public et des transactions pénales soient signées aideront la France à remonter progressivement dans le classement. Il faut donner des signes tangibles que la mécanique est bel et bien en marche.
« Le souhait de Transparency est que la France progresse encore »
Les grandes démocraties occupent toujours le haut du classement. Qu’est-ce qui les distingue de la France ?
Dans les démocraties nordiques, la culture d’intégrité et l’exigence à l’égard du politique sont très élevées depuis de nombreuses années. Cela joue aussi beaucoup sur l’indice de perception de la corruption. Le Royaume-Uni, 10e du classement, a également été confronté à des problèmes très sérieux, notamment au niveau du Parlement britannique, mais a réagi bien avant nous.
Le sport a également ses affaires de corruption. Comment traitez-vous ce sujet ?
La corruption dans le sport est un enjeu très important. La France vient d’obtenir l’organisation des Jeux olympiques de 2024. Il y existe une volonté du gouvernement ainsi que des parties prenantes telles que la ville de Paris, de se saisir de cette question très en amont pour organiser des jeux « propres » et ne pas reproduire ce qui s’est passé notamment au Brésil en 2016. Transparency International s’intéresse particulièrement à ces sujets et participera activement à la réflexion collective sur l’organisation des jeux.
Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali