C’est une envolée qui ne se dément pas. Les stocks d’IDE français dans la péninsule arabique connaissent une croissance ininterrompue depuis 20 ans, notamment aux Émirats arabes unis et, dans une moindre mesure, en Arabie saoudite, qui raflent le gros de la mise.
Entre la France et les pays du Golfe, une lune de miel économique
"Beaucoup de signaux sont au vert pour les entreprises françaises dans la région " se réjouit Clément Pacaud, installé depuis 10 ans dans les pays du Golfe et nouveau directeur général de Visiomed, un opérateur de centres de santé high-tech en pleine croissance, implanté aux Émirats arabes unis et, dans les semaines à venir, en Arabie saoudite."Une zone à haut potentiel", pour BPI France, qui suit de très près les relations économiques entre la France et les pays du Golfe. Et un rapprochement entre les deux mondes promu à tous les niveaux.
En juin dernier, Paris accueillait Vision Golfe, une rencontre rassemblant plusieurs centaines de dirigeants issus des secteurs publics privés de France et des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Au terme de l’évènement, une volonté de coopération toujours plus partagée et des promesses d’opportunités renouvelées. "La région dispose de nombreux atouts structurels : forte croissance économique, faible taux d’endettement, excédents budgétaires, inflation maîtrisée, fort dynamisme démographique et positionnement géographique central au carrefour entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique", souligne le directeur général de Visiomed, qui évoque aussi "un climat des affaires plus que favorable pour les groupes étrangers, qui se décline avec des mesures parfois très symboliques, comme l’alignement sur les week-end occidentaux opéré en 2022". Avec une croissance de 7,6 % en 2022 et de plus de 3 % en 2023, les Émirats arabes unis affichent une santé économique presque insolente dans un contexte macroéconomique international plus que troublé.
Le rebond post-Covid a été, en Arabie saoudite, encore plus prononcé avec un taux de croissance de 8,9 % en 2022. Mieux : les exportations françaises dans le Golfe arabique progressent et, au premier semestre 2022, étaient quasiment à l’équilibre. En 2022, la France est même largement excédentaire dans ses relations commerciales bilatérales avec les Émirats arabes unis, qui rassemble la plus importante communauté d’expatriés français de la région avec 30 000 d’entre eux, selon les chiffres consulaires. Un rapprochement économique qui s’inscrit aussi dans un resserrement constant des liens diplomatiques avec les pays de la région, notamment les Émirats arabes unis, qui mènent depuis une dizaine d’années une politique d’ouverture et de tolérance religieuse loin de déplaire à l’Occident. Dans le même temps, le président Emmanuel Macron a multiplié les rencontres bilatérales avec le prince héritier saoudien et, depuis peu, tente de se rapprocher du cheikh Mechaal al-Ahmad al-Jaber al-Sabah, nouvel émir du Koweït.
"Beaucoup de signaux sont au vert pour les entreprises françaises dans la région"
Les entreprises françaises peuvent surtout compter sur les ambitions à long-terme des pays du Golfe, qui cherchent à se diversifier en marche forcée. Une transition, qui aux Émirats arabes unis, est déjà bien entamée. Le pétrole, qui comptait pour 76 % des exportations en 2000, ne représente plus que 16 % du PIB du pays. Éviter le piège de la rente pétrolière relève ainsi de l’obsession pour les deux pays, qui s’est notamment concrétisée par la publication de deux plans à long-terme Vision 2030, qui ont posés les fondements d’une économie plus diversifiée et résiliente face aux enjeux de l’après-hydrocarbure. "Les deux stratégies de référence 2030 constituent une base vertueuse pour l’accueil des investissements internationaux et l’orientation de l’économie vers l’innovation, la digitalisation, la transition énergétique et les nouvelles technologies", note Clément Pacaud.
Des grands groupes aux PME : le tissu économique français tisse sa toile
Cette mutation économique est surtout l’occasion, pour les groupes français, de se positionner sur des secteurs porteurs et stratégiques, auxquels de puissants financements sont associés. Dans le domaine des transports publics, les géants français du transport ont très tôt raflé des contrats monstres. Dès 2015, RATP Dev a ainsi été chargée de construire et maintenir le réseau de bus de Riyad, tandis qu’en 2014 Alstom Transport fournissait ses premiers tramways à la ville de Dubaï et que, depuis 2021, Keolis a la charge de l’exploitation et de la maintenance du métro à Dubaï. Dans certains secteurs, les groupes français sont même très bien lotis, notamment dans l’énergie ou l’eau. EDF est, depuis 2021, en charge de la construction du plus grand parc solaire au monde, tandis que Total multiplie les participations dans le pétrole, le gaz ou encore le solaire. Dans l’hôtellerie, Accor reste le premier opérateur d’hôtels à Dubaï. "Énormément de choses sont en train de se construire : des solutions très poussées de digitalisation (e-gov), pour le transport urbain et les énergies de demain telles que l’hydrogène", souligne Catherine Dorgnac, responsable régionale du Moyen-Orient, de la Turquie et de l’Asie centrale chez Bpifrance qui, avec Business France, mobilise aussi le tissu industriel des PME et TPE français pouvant se projeter sur place.
Car l’implantation dans le Golfe Arabo-Persique est loin d’être la chasse gardée des grands groupes. Les PME et ETI sont désormais très nombreuses à souhaiter aussi se tailler la part du lion, profitant des ambitions et de la croissance des pays de la région. Visiomed, par exemple, peut compter sur son expertise dans les centres de santé high-tech pour s’implanter durablement à Dubaï, qui poursuit une politique volontariste de numérisation de la santé et qui, surtout, a voulu fluidifier les parcours de tests obligatoires pour l’obtention des visas des 85 % d’expatriés qui travaillent dans l’Émirat. "Les marchés de la péninsule sont porteurs pour tous ceux qui sont en capacité d’apporter des solutions innovantes et corrélées aux grands objectifs stratégiques des pays de la région", se félicite Clément Pacaud, alors que Visiomed a connu une croissance de 41 % de tests réalisés dans ses centres l’année passée par rapport à 2022 et a d’ores et déjà prévu d’ouvrir un nouveau centre à Riyad, où les besoins sont similaires. Un destin connu par certains de ses compatriotes dans la région à l’image de Toutenkamion, qui a fourni dix unités mobiles de détection du cancer du sein à l’Arabie saoudite destinées aux populations les plus isolées des centres urbains. Ou encore Gaussin, PME spécialisée dans la logistique aéroportuaire, qui s’est implantée durablement au Qatar. Des contrats qui, certes, ne font pas la Une des grands médias, incomparables en valeur avec l’acquisition des 80 rafales F4 de Dassault acquis par les Émirats pour 16 milliards d’euros, mais qui structurent pourtant les relations économiques entre la France et les pays de la région.
Ce qui fait le succès des entreprises françaises ? "Les entreprises tricolores, notamment dans les nouvelles technologies, sont reconnues pour leur expertise. Un enjeu important pour les pays de la région qui cherchent à orienter les subsides du pétrole vers tout ce qui a trait à l’économie du savoir", constate le directeur général de Visiomed. Mais rien n’est gagné d’avance pour les firmes de l’Hexagone. La région est très concurrentielle et aiguise les intérêts des acteurs anglo-saxons, mais aussi asiatiques, désireux de profiter aussi des immenses marges de manœuvre budgétaires et des ambitions hors-norme des pays du golfe arabique.