Alors qu’elle n’a pas rencontré son marché en France, Sabre, entreprise spécialisée dans les arts de la table, s’est lancée à l’international où elle fait 90 % de son chiffre d’affaires. Pour la suite, l’export sera encore déterminant, nous explique son président fondateur, Francis Gelb.
Francis Gelb (Sabre) : "Nous sommes allés à l’export car nous n’avions pas le choix"
Décideurs. Comment a commencé votre développement à l’international ?
Francis Gelb. Je suis né dans une famille qui avait une entreprise d’orfèvrerie où j’ai travaillé cinq ans. À l’époque, l’art de la table était soit très coloré et de mauvaise qualité, soit extrêmement classique, cher et ennuyeux. J’ai eu envie de concevoir des couverts différents : moins classiques et plus conviviaux. En 1993, année de la création de l’entreprise, j’ai fait le tour des grands magasins. Tous ont acheté. Lors de notre premier salon d’art de la table en France, nous n’avons enregistré qu’une seule commande pour un magasin en Turquie. Pourtant j’étais certain que notre collection était jolie et différenciante, c’est pour cela que Sabre est allée exposer à Francfort, au salon Ambiente. Nous ne sommes pas allés à l’export parce que nous le voulions mais parce que nous n’avions pas le choix. Nous n’avions pas rencontré le public français.
Comment se sont passés vos premiers pas à l’export ?
Nous avions un stand de l’équivalent d’un placard à Ambiente qui est l’un des salons de référence de notre profession. Nous avons pris de nombreuses petites commandes sur le grand export et une commande pour les États-Unis. Lorsque notre banquier a vu que nous avions fait un virement pour un salon aux États-Unis, il m’a convoqué en me disant que nous n’avions pas les moyens d’y partir et menacé de fermer notre compte. J’ai changé d’établissement. Je ne suis pas devenu chef d’entreprise pour subir mon banquier ! Trente-et-un an plus tard, nous faisons 90 % de notre chiffre d’affaires à l’export (30 % aux États-Unis et 20 % en Corée) et 60 % de notre CA se fait à plus de 8 000 kilomètres.
Votre banquier n’avait-il pas raison ?
Probablement que oui mais si on fait tout avec un tableur, on ne fait jamais rien. L’intuition est importante. La persévérance aussi. L’export est une grande école de persévérance. Si je devais recommencer aujourd’hui, je m’y prendrais différemment. Je ne me ferais pas plaisir en allant aux États-Unis mais dans des salons internationaux plus proches.
Qu’est-ce qui explique que vous perciez à l’international et pas en France ?
C’est au détaillant français qu’il faut poser la question. En France, les magasins de détail souffrent de la concurrence des grandes surfaces. Mais si je savais vraiment répondre à cette question, je travaillerais davantage en France !
"Hormis l’envie, il n’y a pas d’excuses pour ne pas aller à l’export"
Vendez-vous des produits différents d’un pays à un autre ?
Les produits vendus sont assez similaires mais il y a des différences de teintes. En Asie, les pastels sont davantage appréciés tandis qu’aux États-Unis on préfère les couverts plus sophistiqués. Avant, nous concevions nos collections en nous disant « on verra à qui cela plaît », désormais Sabre s’adapte de plus en plus aux marchés pour aller chercher du chiffre. Nous avons lancé une collection de baguettes pour l’Asie. Nous emballons différemment les produits : les Français achètent des sets de 4 pièces (une fourchette, un couteau, une cuillère à soupe et une petite cuillère). Pour l’Allemagne, nous y ajoutons la fourchette à gâteau et pour l’Angleterre une cuillère à dessert. En Angleterre, nous avons ouvert une boutique et un site marchand. Le site aide la boutique, la boutique aide le site et plus de détaillants viennent nous voir depuis. Cela requiert un vrai travail de fond.
Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Nous allons répliquer ce que nous avons fait à Londres en ouvrant deux à trois boutiques en propre par an et des sites marchands. En 2023, nous avons réalisés 14 millions d’euros de CA, contre 3,85 millions en 2019 et espérons faire fois deux d’ici à 4 ans.
Qu’est-ce qui freine encore les entreprises qui envisagent l’export ?
Toutes les entreprises n’ont pas nécessité à aller à l’export et assez peu ont envie de se lancer. Vu de l’extérieur cela peut avoir l’air également très compliqué mais c’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. C’est en exportant que l’on devient exportateur ! Aujourd’hui, Business France et les CCI aident les entreprises à l’étranger et Bpifrance a les poches suffisamment profondes pour soutenir financièrement les vrais projets. Hormis l’envie, il n’y a pas d’excuses pour ne pas aller à l’export.
Quels seraient vos conseils pour les sociétés qui veulent se lancer ?
Les petites entreprises françaises qui partent à l’export ont souvent la réputation de ne pas être sérieuses. Mais elles ne le sont pas plus sur leur marché intérieur qu’à l’export. Je travaille régulièrement avec Business France et quand on fait des recherches sur les pays, ils nous disent "en Inde, il faut répondre à ses mails", "en Asie il ne faut pas être en retard". Si vous n’êtes pas prêt à opérer de façon sérieuse, vous n’êtes pas prêt à aller à l’export. Le gros défaut des exportateurs français est aussi de tirer leurs prix vers le bas. Il ne faut pas dévaloriser ses produits. Les Chinois n’achètent pas chez nous car nous sommes moins chers ! Les pays étrangers nous envient notre art de vivre et c’est lui que nous leurs vendons.
Propos recueillis par Olivia Vignaud