Au deuxième trimestre, les défaillances d’entreprises en France ont augmenté de 35 % par rapport à 2022. Si l’économie a été mise sous perfusion durant la pandémie, retardant ainsi les fermetures, un rattrapage semble actuellement s’opérer. Les faillites actuelles marquent-elles uniquement cet ajustement ou le phénomène est-il plus profond ? Éléments de réponse.

Les défaillances d’entreprises repartent à la hausse. Au deuxième trimestre 2023, 13 266 procédures ont été ouvertes, soit une augmentation de 35 % par rapport à la même période l’année passée et un niveau dépassant nettement celui d’avant la crise, selon les données publiées en juillet par le cabinet Altares. Les prêts garantis par l’État (PGE) ayant été abondamment distribués lors des confinements, l’économie a bénéficié d’argent frais permettant d’éviter des fermetures massives mais il faut désormais rembourser ces PGE ainsi que les cotisations sociales longtemps différées pour certains.

La France recense en moyenne entre 52 000 et 55 000 défauts par an. À la suite de la crise des dettes souveraines, ce chiffre a frôlé les 65 000 (entre février 2013 et février 2014). Un point de référence qui n’a jamais été dépassé. À titre de comparaison, en 2020, année marquée par le Covid, seules 28 166 entreprises ont mis la clé sous la porte grâce à la politique du "quoi qu’il en coûte" du gouvernement, lequel a ouvert abondamment les vannes des prêts garantis par l’État et demandé à l’Urssaf d’étaler voire de supprimer les cotisations sociales pour les secteurs les plus sinistrés.

Une période de répit

"Sans le Covid et les aides qui en ont découlé, certaines entreprises auraient fait défaut. Il est naturel qu’une partie de ces entreprises qui ont échappé à la faillite soient rattrapées par leurs difficultés financières", estime Thierry Millon, directeur des études d’Altares. En revanche, le soutien étatique a permis à certaines sociétés qui étaient sur le fil avant la crise de retrouver de l’air et de se remettre sur de bons rails. "Par exemple, des restaurateurs ont eu, pour une fois, le temps et l’argent pour réaménager leur restaurant. Beaucoup se sont également mis au click and collect qui permet, encore aujourd’hui, de dégager du chiffre d’affaires sans que les clients n’occupent une table", précise Thierry Millon.

55 000 emplois sont menacés, un seuil qui n’avait pas été approché depuis le deuxième trimestre 2014

Le rattrapage est-il allé au-delà des faillites qui auraient dû avoir lieu en temps normal ? Pour l’instant non. Sur la période 2020-2022, il y a eu 100 000 faillites en France, contre 160 000 sur les trois années précédentes et 2023 devrait en compter 55 000. "Nous avons un niveau de faillites qui augmente très vite mais nous ne sommes pas dans un schéma où toutes les faillites qui ont été épargnées sont rattrapées", explicite Thierry Millon. Et d’ajouter : "Même si certaines entreprises n’ont pas rencontré leur business, globalement elles ont grandi, montré leur capacité à résister et à se renforcer financièrement."

Des mois déterminants

Pourtant, quelques signaux ne permettent pas d’accueillir en toute sérénité les mois à venir. "Nous ne savons pas encore complètement où nous allons", reconnaît le directeur des études d’Altares. La rentrée de septembre, mais surtout le mois d’octobre – pendant lequel les dirigeants mettent souvent les derniers coups de collier avant la fin d’année pour remplir leurs objectifs – permettront d’en savoir plus sur le bilan final.

Parmi les données qui alertent Altares, le nombre de PME et ETI touchées par des défaillances. Certes les TPE continuent de constituer le plus gros des entreprises touchées (91 % du total des procédures) mais les défauts des PME ETI sont en hausse de 55 % par rapport à l’an passé. Or les entreprises de taille moyenne et intermédiaire comptent davantage de clients, fournisseurs et salariés touchés par leurs problèmes que les plus petites. C’est pourquoi 55 000 postes sont menacés, un seuil qui n’avait pas été approché depuis le deuxième trimestre 2014. Néanmoins, la situation sur l’emploi s’avère paradoxale. Si d’un côté les faillites d’entreprises font redouter un impact négatif sur le chômage, certaines se retrouvent en difficulté faute d’arriver à embaucher les talents dont elles ont besoin.

L’inflation, cailloux dans la chaussure

Du côté des petites structures, les restaurateurs, coiffeurs, artisans du bâtiment et autres petits commerces sont affectés par la baisse de la consommation des ménages.
"L’épargne atteint des records, l’argent ne circule pas, souligne Thierry Millon. Il y a également des clients dont le pouvoir d’achat s’est dégradé et qui vont à l’essentiel." Pour ce qui est des PME et des ETI, qui évoluent dans un environnement international altéré sur fond de guerre en Ukraine et avec des charges en augmentation (matières premières, énergie, etc.), leurs marges se dégradent. Ce qui ne leur permet pas de dégager l’argent nécessaire au remboursement des PGE et des charges Urssaf. En janvier, il restait aux entreprises à s’acquitter de 98 milliards d’euros pour les PGE sur les 144 milliards accordés. En septembre 2022, la dette Urssaf des entreprises s’élevait encore à 18 milliards d’euros.

"Si le niveau des faillites augmente, cela va se traduire par un durcissement de l’accès au crédit, des assureurs plus regardants et des relations d’affaires plus tendues"

Dans son rapport annuel 2022, publié en juillet dernier, le Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle qui aide les entreprises en difficulté) note l’accroissement de l’endettement des entreprises. L’encours de dette nette des sociétés non financières est passé de 990 milliards d’euros fin 2019 à 1026 milliards fin 2021 puis à 1 112 milliards fin décembre 2022. "Le remboursement des PGE demeure toutefois au niveau global une charge soutenable pour les entreprises, estime le Ciri. Cependant, de fortes disparités peuvent exister entre secteurs et entreprises, ce qui soulève immanquablement le sujet de la restructuration des PGE."

La pierre comme boussole 

Parmi les indicateurs qui seront scrutés dans les mois qui viennent: l’état de santé de la construction. Au deuxième trimestre 2022, le secteur a enregistré une hausse de 35 % de ses défaillances, sans renouer pour autant avec ses seuils d’avant-crise. Mais certaines lignes de ce business souffrent déjà plus que d’autres. C’est le cas des agences immobilières (+ 104 %), de la maçonnerie générale (+ 54 %) ou encore du gros œuvre (+ 37 %). "L’activité du bâtiment est très mal orientée avec des points de tension plus durables que dans certains métiers", souligne Thierry Millon, qui précise que la construction représente 9 % du PIB français.

Les entreprises pourraient souffrir davantage si l’inflation ne poursuit pas sa descente. Les réglementations auxquelles devront se conformer les sociétés, comme celles sur l’environnement, pourraient également achever les plus fatiguées d’entre elles. Mais globalement, "ce sont des problèmes financiers qui minent les entreprises, pas les fondamentaux. La situation structurelle, les bilans sont meilleurs qu’avant la crise", note Thierry Millon.

Penser fondamentaux

En revanche, "si le niveau des faillites augmente, cela va se traduire par un durcissement de l’accès au crédit, des assureurs plus regardants et des relations d’affaires plus tendues". La réforme de la facturation électronique qui entrera progressivement en vigueur dès juillet 2024 devrait être un mal pour un bien. Bien qu’elle nécessite des investissements pour les entreprises, elle permettra de limiter quelque peu le véritable fléau des délais de paiement.

Quels sont les pièges à éviter pour les entreprises les plus fragiles? "Elles ne doivent pas hésiter à demander de l’aide à un expert-comptable. On l’a vu pendant la phase Covid, ils ont un vrai rôle d’accompagnant, explique le directeur des études d’Altares. Elles doivent aussi toujours savoir où en est leur trésorerie et ne pas se laisser déborder par les délais de paiement qu’elles ne pourraient supporter. Ce sont des conseils basiques, pourtant toutes ne les ont pas toujours en tête." À bon entendeur...

Olivia Vignaud

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