En 2023, cinquante licornes européennes ont perdu leur statut. Un certain nombre d’entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars ont également dû couper dans leurs effectifs afin de s’adapter au nouvel environnement économique. Un changement de stratégie de mauvais augure ?

Le couperet est tombé le 12 janvier. Ce jour-là, le loueur de voitures livrées à domicile Carlili est mis en liquidation judiciaire. Une décision qui l’oblige à arrêter immédiatement et temporairement son activité, à licencier économiquement tous ses salariés ou encore à mettre aux enchères des Tesla au profit de fonds créanciers. La start-up luttait déjà depuis plusieurs mois pour sa survie. Le 12 octobre, elle avait été placée en redressement judiciaire. Ce qui l’avait poussée à élaborer un plan de continuité afin de garantir son avenir. Mais, faute d’obtenir le nécessaire aval des fonds pour l’entériner, elle imagine pouvoir se rapprocher d’un loueur déjà installé ou être reprise par celui-ci. Là encore, échec. La suite de l’histoire doit s’écrire avec l’examen d’éventuelles offres de reprise.

Le cas de Carlili est loin d’être isolé. Dans le même secteur, Cityscoot, qui avait fait son entrée dans le Next40 en 2019, était placé en redressement judiciaire en novembre. Le même mois, Atomico publiait un bilan de la tech européenne pour 2023. Le fonds de capital-risque estime que l’an dernier seules sept nouvelles entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars ont émergé en Europe entre janvier et fin octobre, contre 108 en 2021, année record et un peu moins d’une cinquantaine en 2022. À l’inverse, certaines start-up ne font plus partie de ce club de happy few. En 2022, 58 licornes ont été « écornées », selon l’expression d’Atomico. En 2023, 50 ont perdu leur titre.

Trop beau pour être vrai ?

La multiplication des licornes entre 2020 et 2022 laissait pourtant entrevoir un avenir radieux pour la French Tech. Les start-up françaises ont tiré profit d’un environnement favorable à leur croissance. Taux bas, investisseurs prêts à prendre des risques, liquidités abondantes et un gouvernement qui n’avait de cesse de travailler à leur développement… Les feux étaient au vert. "Tout le monde avait peur de ne pas être dans la dernière boîte en croissance, rappelle Sébastien Cochard, operating partner chez I&S Adviser, réseau de serial entrepreneurs qui accompagne les dirigeants. On a vu des entreprises, en particulier dans la Fintech, valorisées entre 50 et 100 fois leur chiffre d’affaires. Dans des temps normaux, nous pouvons considérer ces montants comme assez déraisonnables."

Entre 2022 et 2023, 108 licornes ont perdu leur statut en Europe

L’avertissement Luko

Depuis, les tours de table se sont taris sur fond d’inflation et d’incertitudes économiques. De quoi mettre à mal certaines stratégies jusqu’à conduire des licornes et des scale-up au bord du précipice. Tous les mois, les mésaventures des jeunes entreprises sont relatées dans les médias. Un cas a toutefois marqué les esprits plus que les autres, celui de Luko. Alors qu’il était près d’obtenir le statut de licorne, le néo-assureur fondé en 2016 se voyait cédé en janvier à la barre du tribunal de commerce à l’allemand Allianz pour 4,3 millions d’euros. Le spécialiste de l’assurance habitation 100 % en ligne, endetté à hauteur de 45 millions d’euros et placé en novembre en redressement judiciaire, aura tout de même réussi à convaincre un repreneur parmi les acteurs traditionnels du marché.

Dégraissages

Toutes les licornes en proie à des difficultés ne se retrouvent pas dans des situations extrêmes. Ce qui n’empêche pas certaines d’avoir à dégraisser pour mettre en place les conditions de la croissance de demain et maintenir leur trésorerie à flot. C’est le cas des licornes ManoMano, Back Market, Ankorstore, Ledger ou encore PayFit qui ont annoncé des vagues de licenciements. Pour ce qui est de ManoMano, la market place prévoyait l’an dernier de supprimer 150 postes en France et 80 en Espagne afin de s’adapter au nouvel environnement économique. Quant à Payfit, devenue licorne en 2021, elle annonçait en mars 2023 se séparer de 20 % de ses effectifs, soit environ 200 personnes afin de réduire ses coûts et d’adapter ses forces vives à la fin de l’hypercroissance. Dans le cas de Carlili, les fonds présents au capital n’ont pas ratifié le plan de continuité. Toutes les situations diffèrent mais qu’est-ce qui pourrait expliquer que les fonds ne suivent plus certaines entreprises ? "Il y a des raisons rationnelles et d’autres irrationnelles, estime Sébastien Cochard. Dans un board, tous les fonds n’ont pas les mêmes intérêts ni le même niveau de participation. Il faut que tout ce beau monde s’entende et ce n’est pas forcément évident."

ManoMano, Back Market, Ankorstore, Ledger ou encore PayFit ont annoncé des vagues de licenciements

Manque de transparence

Dans certains cas, les entreprises ne s’ouvrent pas non plus à leurs actionnaires sur leurs difficultés. En mettant la poussière sous le tapis, elles prennent le risque qu’en période de tempête des coéquipiers quittent le navire. "La relation entre les dirigeants opérationnels et les fonds est toujours un peu particulière, décrypte Sébastien Cochard. Les dirigeants doivent comprendre qu’il faut faire preuve d’un minimum de transparence envers leur board. Ce n’est pas toujours le cas. Les investisseurs peuvent se retrouver un peu au pied du mur et perdre confiance." En outre, si les dirigeants de licornes ou de scale-up sont souvent des gens brillants avec de multiples cordes à leur arc et une grande capacité de travail, ils ne peuvent être bons partout. L’hypercroissance peut donner l’impression d’une certaine maîtrise et le manque de temps pour prendre du recul s’avère parfois fatal. D’où l’intérêt de très bien s’entourer au sein même de sa structure. "D’un point de vue opérationnel, les dirigeants ne s’ouvrent pas assez aux compétences extérieures. Il faut s’entourer de gens plus compétents que soi, estime Sébastien Cochard. Aux Etats-Unis, les CEO et cofondateurs disposent de ressources externes pour les aider à prendre des décisions éclairées."

Savoir raison garder

Il convient toutefois de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. "On entendait auparavant que les licornes constituaient la panacée. Maintenant, on brûle ce que l’on a adoré. La vérité se trouve sûrement au milieu", tempérait déjà dans nos colonnes fin 2022 Alexandre Prot, cofondateur et CEO de Qonto. Quel avenir alors pour les licornes ? "Toutes ne s’en sortiront pas. Certaines vont devoir également accepter de se restructurer et d’être moins bien valorisées, affirme Sébastien Cochard. Mais il y a encore de belles entreprises, avec des modèles de croissance solides comme Qonto, Doctolib, Mirakl, Contentsquare ou Alan qui fonctionnent bien. Elles ont constitué de bons fondamentaux." Si la période de rationalisation des levées de fonds que connaissent actuellement les start-up marque un tournant, nul doute que la French Tech a encore de beaux jours devant elle.

Olivia Vignaud

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