Naguère promoteur du "ni gauche ni droite", le macronisme semble avoir choisi son camp. Une orientation dictée par les dernières élections législatives mais qui était en maturation depuis 2017.
Emmanuel Macron, la fin du "en même temps"
Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Au premier tour de la dernière présidentielle, le candidat Emmanuel Macron a réalisé ses meilleurs scores dans des bastions traditionnels de la droite : 49 % à Neuilly-sur-Seine, 48,5 % dans le septième arrondissement de Paris, 47 % dans le seizième... Inversement, dans les quartiers plus populaires des grandes villes, son score a reculé en cinq ans au profit de Jean-Luc Mélenchon. Cela semble donc officiel, les théories du "en même temps", du "et de droite et de gauche" ont vécu. En un quinquennat, le savant équilibre a peu à peu été bousculé. Pourtant tout avait si bien commencé…
Une droite adroite
"Le processus de droitisation de LREM n’était pas acquis d’avance", souligne Sébastien Nadot ancien député de Haute-Garonne et macroniste de gauche. Dès le début de mandat, le nombre de figures issues du parti socialiste ou des Verts était aussi important que celui des anciens LR. "Mais ces derniers se sont montrés les plus malins", observe Sébastien Nadot qui a été aux premières loges pour observer la manœuvre. "À l’Assemblée nationale, ils sont parvenus à convertir à leurs vues de nombreuses personnes issues de la société civile, ils avaient un comportement dynamique, la niaque." De même, dans les corridors des ministères ou dans l’entourage du président de la République, ils se sont montrés indispensables et ont pu s’appuyer sur de vrais leaders tels que Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Édouard Philippe ou le trop méconnu Sébastien Lecornu, au réseau impressionnant. Rien n’a été laissé au hasard : des partis satellites comme Agir puis Horizons sont parvenus à créer des groupes parlementaires charnières. Et, selon un ancien parlementaire macroniste qui souhaite garder l’anonymat, "même les Jeunes avec Macron au départ composés d’anciens socialistes se sont fait noyauter".
"Les anciens LR sont parvenus à convertir beaucoup de députés issus de la société civile. Ils ont la niaque"
Une gauche trop gauche
Très rapidement, les personnalités venues de la gauche comme Jean-Yves Le Drian, Richard Ferrand, Christophe Castaner ou Barbara Pompili n’ont pas fait le poids. "Ce qui est surprenant puisque, sur le papier, ils étaient rompus aux combines, à l’art de la persuasion", note Sébastien Nadot qui s’est très rapidement persuadé que certains étaient en fin de course tandis que d’autres, conscients de leur carrière inespérée depuis 2017, ont misé sur le "pas de vagues" dans une logique carriériste.
Territoires de Progrès, un mouvement politique souhaitant faire entendre une voix sociale-démocrate, n’a jamais réussi à peser faute de chef, de financement et d’esprit de confrontation. En dernier recours, certains députés ont opté pour la manière forte.
Au printemps 2020, une cinquantaine de députés exaspérés par un virage à droite fomente une sécession et compte créer son propre groupe parlementaire pour faire entendre une voix davantage de gauche dans l’hémicycle. Aussitôt, l’état-major macroniste se met en ordre de marche et manie la carotte et le bâton. « Certains ont reçu des pressions diverses notamment sur des investitures, ça a été très dur », se remémore notre source. En même temps, une session de calinothérapie a été mise en place pour garder les récalcitrants. De quoi faire rire jaune Sébastien Nadot qui se souvient de "missions parlementaires à Tahiti ou autres cadeaux de ce type". Finalement en mai 2020, le groupe nommé EDS - écologie démocratie solidarité- se lance avec seulement 17 membres, en perdra deux puis cessera d’exister au bout de six mois. Aucun des frondeurs ne sera réélu sous la bannière macroniste. Certains choisiront de quitter la vie politique, d’autres, à l’instar de Cédric Villani, ont été confrontés à des "macronistes officiels" tandis que deux rescapés seront élus sous la bannière EELV, Aurélien Taché et Hubert Julien-Laferrière.
Le temps de la clarification
La nouvelle législature marque pour de bon l’avènement d’un macronisme de centre droit. Certes, l'électorat Renaissance est toujours composé de nombreux anciens électeurs PS. Mais il devient plus âgé, plus bourgeois. Ses fiefs se situent dans des zones qui plébiscitaient Nicolas Sarkozy. C’est le cas notamment des Hauts-de-Seine, de la Vendée ou encore de la Haute-Savoie. Au sein du groupe Renaissance, de nouveaux profils proches venus de la droite ont fait leur entrée au Palais-Bourbon, par exemple l’Alsacien Charles Sitzenstuhl. D’anciens LR -Damien Abad, Robin Reda, Constance Le Grip, Éric Woerth- ont garni les rangs macronistes. Les profils plus orientés socialistes sont partis de gré ou de force ou mangent leur chapeau au quotidien. À cela s’ajoute la situation de majorité relative qui accélère le revirement idéologique.
En cinq ans, l'électorat macroniste, devenu plus âgé et bourgeois, cartonne dans les fiefs de droite
Nouvelle donne à l’Assemblée
Le cœur du groupe Renaissance penche à droite ? Cela tombe bien, au sein du groupe LR, certains sont disposés à travailler avec la majorité. Les autres, conscients de leur rôle de faiseur de roi sont prêts eux aussi à s’asseoir à la table des négociations, même si cela suppose de discuter avec des "traîtres". Pour Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po Paris et président fondateur de MCBG Conseil, "avec la nouvelle configuration, le gouvernement est poussé à faire des choix clairs, on le voit par exemple sur les questions d’immigration ou sur la réforme des retraites qui a une philosophie plutôt sarkozyste que socialiste".
Ponts coupés avec la gauche
Pour maintenir la fiction du "en même temps", l’exécutif comptait faire passer quelques projets de loi avec des députés de gauche, notamment sur l’environnement. Le succès n’est pour le moment pas au rendez-vous. Une situation qui, d’après Philippe Moreau-Chevrolet, est liée à des raisons politiques mais aussi humaines : "Les jeunes députés EELV et PS sont élus grâce à la Nupes avec laquelle ils veulent accéder au pouvoir, ils ont commencé leur ascension après 2017 et ont peu de liens avec les cabinets ministériels, leurs collègues de la majorité." Ce qui rend la relation moins fluide. Quant aux députés plus âgés, "ce sont les derniers des Mohicans, ils ont refusé tous les débauchages, ce n’est pas pour aider Emmanuel Macron". Les ponts semblent donc coupés. D’autant plus qu’à gauche les patrons officieux de la Nupes, à savoir les Insoumis, sont dans une stratégie d’opposition frontale.
Au PS ou chez EELV les jeunes députés se sont construits en opposition à Emmanuel Macron et comptent sur la Nupes pour accéder au pouvoir
D’un point de vue tactique, Emmanuel Macron n’a donc pas intérêt à pousser ses troupes à faire voter des réformes de gauche. "Pour séduire une petite poignée de Nupes et faire perdurer une fiction dans laquelle il ne croit plus, le prix est élevé : se fâcher avec la droite et peut-être faire exploser sa majorité", glisse Philippe Moreau-Chevrolet.
En somme, la nouvelle ère est en situation de mort clinique. Malgré tout, la politique française est bel et bien entrée dans un nouveau monde. Un monde divisé en trois pôles : une extrême droite en voie de notabilisation, une gauche unie qui s’éloigne de la social-démocratie traditionnelle et un bloc central dont le défi sera de survivre à son fondateur Emmanuel Macron qui ne pourra plus se représenter en 2027. Parmi les favoris à sa succession, Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, tous d’anciens LR. Sans surprise.
Lucas Jakubowicz